Notre monde s’effondre et nous regardons ailleurs
Depuis près d’un mois, la Californie est en proie aux flammes et à des températures anormalement élevées. La vague de chaleur s’est étendue, en ce début de mois de septembre, sur la côte ouest américaine, dans les deux États de Washington et de l’Oregon – lequel a vu un demi-million de ses habitant.e.s contraint.e.s d’évacuer. Ces signaux alarmants ne sont que les prémices d’un futur mouvementé et la preuve que l’urgence est bien là, sous nos yeux. Mais nous préférons faire l’autruche.

Paniquer pour agir vite
« Je veux que vous paniquiez » : l’an dernier, lors du forum de Davos, Greta Thunberg avait utilisé ces mots lapidaires pour dénoncer l’inaction politique en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Aujourd’hui, cette sensation de panique devrait envahir tous les corps, tous les esprits et en particulier ceux des hommes et des femmes qui nous gouvernent. On aurait pu croire à un soubresaut de prise de conscience lorsque, à l’été 2019, l’Amazonie dévastée par les flammes avait ému la planète entière. On aurait pu croire à une mobilisation politique sans précédent après que des millions de jeunes aient battu le pavé, au moment des marches pour le climat, sous l’impulsion de la jeune suédoise. Mais, malgré des rapports toujours plus préoccupants du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC), malgré des évolutions toujours plus cauchemardesques, à l’instar de la dernière étude publiée par le Fonds mondial pour la nature (WWF), établissant que les populations d’animaux sauvages avaient décliné de 68 % entre 1970 et 2016, nous préférons nous terrer. Nous feignons de ne rien voir ou ne ressentons pas la menace de manière immédiate – parce que cela ne nous touche pas toutes et tous directement -, alors que, là-bas, de l’autre côté de l’Atlantique, des villes sont sinistrées, détruites, obligeant des centaines de milliers de personnes à plier bagages. Après tout, tant que notre confort est assuré, pourquoi devrions-nous nous sentir concerné.e.s par ces tragédies climatiques ?
Source : WWF
Moi aussi, je voudrais que, toutes et tous ensemble, nous paniquions. Pire, que nous craignons pour notre vie – à défaut de craindre pour l’environnement. Je voudrais qu’à chaque instant, nous nous projetions dans demain afin de mieux distinguer l’ampleur de l’urgence. Imaginez : la France, en 2040, fera face à un risque de stress hydrique estimé de « modéré à fort ». Il sera « fort » aux Etats-Unis et « extrêmement fort » au Moyen-Orient ». Que cela signifie-t-il ? Une demande en eau supérieure aux ressources en eau disponibles. Pour la France, cela ne concernera que certaines régions – et encore. Mais pour le Moyen-Orient, cette situation incombera l’entièreté de la population… Et aura des conséquences sur la France, entre autres, avec des vagues migratoires de plus en plus massives. Imaginez, de nouveau : en 2050, il y aura plus de plastique que de poissons dans l’océan, si rien n’est fait pour oblitérer le réchauffement climatique. D’après une étude de l’université d’Hawaï, 75% des gens pourraient être victimes de vagues de chaleur meurtrières d’ici 2100. Enfin, pour ne pas vous faire crouler sous les chiffres et puisque les circonstances jouent en notre faveur, la fonte des glaciers est susceptible de libérer des pathogènes potentiellement très contagieux – bien plus grave que la Covid-19.
Ne plus rien attendre de celles et ceux qui nous gouvernent
Malheureusement, une chose est sûre, et c’est de loin le plus révoltant : ils ne paniquent pas. M. Macron, M. Trump, Mme. Merkel, M. Johnson, M. Bolsonaro, M. Jinping et j’en passe font la sourde oreille. Enfin, pas exactement. Soit, et c’est plus grave, ils se déclarent ouvertement climatosceptiques, soit, et c’est d’une fourberie sans nom, ils se parent d’éclatantes déclarations d’intention, promettant de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour inverser la tendance.
Dernièrement, à la surprise générale, Donald Trump se posait en ardent défenseur de l’environnement, en étendant un moratoire sur les forages pétroliers dans le Golfe du Mexique. Initiative purement électoraliste, elle n’enlève rien à son passif en matière d’écologie – le président américain ne cesse, depuis son entrée en fonction à la Maison Blanche, d’autoriser la mise en oeuvre de nouveaux projets pétroliers et gaziers. Autre exemple : le gouvernement français a récemment adopté un plan de relance de l’économie à hauteur de 100 milliards d’euros, dont 30 % sera dédié à l’environnement. D’une part, investir pour la « transition écologique » n’a de sens que si, en parallèle, les investissements dans le brun sont exclus. Or, les secteurs polluants, tels que l’industrie ou l’aéronautique, se sont vus octroyer 41 milliards d’euros afin de faire face à la crise, sans contreparties environnementales contraignantes. D’autre part, nous devons nous rendre à l’évidence : espérer répondre à l’enjeu climatique par une « relance » verte, c’est donner un coup d’épée dans l’eau. Les « infrastructures et mobilités vertes » ou les « énergies et technologies vertes » ne sont que d’énièmes aberrations écologiques. Tout miser sur le progrès technique, cause indéniable du déclin environnemental, pour nous sauver reviendrait à donner aux hommes, seuls, la tâche de mettre à bas le patriarcat.
Combien de temps allons-nous continuer à croire en ce mirage de belles paroles ?
Combien de temps allons-nous continuer à croire en ce mirage de belles paroles ? Oui, le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité sont des processus de long-terme. Non, il ne faut pas tomber dans le « wait and see » et opter pour la solution de facilité, celle de l’autruche. C’est pour cette raison que nombreux.ses sont celles et ceux qui s’emparent du problème à bras le corps, en proposant des alternatives – à travers, par exemple, la vie en communauté réduite, permettant un rapport plus harmonieux avec la terre – et qui rebattent ainsi les cartes du jeu, en se substituant aux défaillances du pouvoir.
Le combat qu’il faut s’apprêter à mener sera long et difficile. Les dominant.e.s ne nous laisseront aucun répit, si ce n’est les quelques mesurettes risibles disséminées à droite à gauche. Alors oui, cela passera par la confrontation. Cela passera aussi par des remises en question, comme la prise de conscience de l’invisibilisation des personnes racisées au sein de la lutte environnementale. Cela passera par l’acceptation des divergences, en essayant de trouver des compromis et des terrains d’entente. À tout cela, j’y crois dur comme fer, parce que nous, le peuple, n’avons rien d’autre à sauvegarder que le droit à la vie, quand eux ont tout à perdre – et c’est là, l’objet du blocage.
Aujourd’hui, la voix de Greta Thunberg doit être le cri de ralliement de toutes et tous les révolté.e.s du monde pour enfin sortir de l’ornière. Aujourd’hui, il nous appartient, nous, la nouvelle génération – à défaut de pouvoir compter sur nos aînés – d’affronter frontalement le plus grand bouleversement que le monde n’ait jamais connu.