Le clitoris dans les manuels scolaires
La polémique liée à l’insertion d’une représentation du clitoris dans les manuels scolaires est un sujet d’actualité, un sujet qui fait parler, et qui regroupe les questions de l’égalité homme-femme, de l’éducation à la sexualité et de la libéralisation des sujets tabous autour du plaisir. Pourquoi alors ne met-il pas tout le monde d’accord ?

Vers la libération de la parole
Cela fait désormais quelques années que libérer la parole (de la femme notamment) est un enjeu culturel majeur. Après les vagues #MeToo et #BalanceTonPorc, initiées en janvier 2018 à la suite du scandale des agressions sexuelles au sein de l’industrie cinématographique, il est devenu plus courant de parler des femmes et des hommes victimes d’abus dans la sphère publique. La mise en place fin 2018 d’un « Violentomètre » en France permet de prendre la mesure du comportement de l’autre en couple et de mieux sensibiliser aux violences conjugales. Enfin, la médiatisation des féminicides comptabilise une victime tous les deux jours et demi en France et permet d’alerter les femmes face à ces comportements inadmissibles et dangereux.
Si les choses avancent, on est encore loin de la prise de conscience générale. Les médias s’en tiennent souvent aux faits divers pour parler de ces sujets tabous, mais des opérations bénévoles et très suivies voient le jour pour décomplexer le rapport à la sexualité sur un support des plus étonnants : Instagram. Entre @tubandes, @jouissance.club, @lecul_nul, @tasjoui, @sang.sations, tout y passe, de la masculinité toxique à la fin du tabou des règles en passant par la jouissance et l’éducation sexuelle. Tous ces comptes déconstruisent de nombreux stéréotypes sociétaux. Ils sont à la fois nécessaires et rafraîchissants, amusants et pédagogiques.
Le constat critique d’un manque d’informations au sujet de la sexualité, malgré les trois sessions par an d’éducation sexuelle obligatoires au collège et au lycée, est la raison d’être de ces comptes. Souvent, pour éviter d’avoir à affronter le regard des autres dans ce genre de cours, les élèves ont tendance à poser leurs questions à un moteur de recherche plutôt qu’à l’enseignant face à eux. D’après les statistiques du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes dans son rapport relatif à l’éducation à la sexualité, 84% des filles de 13 ans ne savent pas comment représenter leur sexe et la moitié sait en revanche représenter le sexe masculin, ce qui démontre une éducation partielle de la sexualité.

La fin du tabou sur le clitoris ?
Il est absent des cours d’éducation sexuelle qui se concentrent principalement sur la contraception, de la plupart des manuels scolaires, et même de l’esprit des jeunes filles : le clitoris semble jouer à cache-cache. Un quart des filles de 15 ans ne savent pas qu’il existe et bien plus ne connaissent pas son caractère érogène.
En février dernier, le compte @gangduclito a lancé une campagne d’affichage ayant pour but la sensibilisation à l’existence du clitoris. « Envahir nos rues de clitoris » et lancer la « Révolution du clitoris » sont les objectifs du mouvement It’s Not A Bretzel lancé par Julia Pietri. La campagne est principalement destinée à être affichée lors de la Journée internationale des droits des femmes (le 8 mars), afin de rassembler les hommes et les femmes autour d’une cause commune.

Placardés dans toute la France, ces clitoris visent à promouvoir une démocratisation de l’éducation sexuelle et du plaisir. Ces affiches de street-art montrent des clitoris accompagnés des phrases « It’s not a bretzel », « It’s not an alien », « It’s not a ghost », « It’s not a legend », « It’s not an emoji ». Elles s’adressent aux jeunes mais aussi à tous ceux qui passent dans la rue et sont dans les transports, espaces créant souvent un sentiment d’insécurité pour les femmes. Désormais sous les yeux de tous, ce symbole de la féminité est révélé et permet de parler plus librement du plaisir sexuel.
C’est de là que naît l’idée d’une pétition visant une représentation du clitoris dans les manuels de SVT. Signée par un peu moins de 60 000 personnes, elle est adressée à Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations et à Jean-Michel Blanquer, Ministre de l’Éducation nationale. Pourquoi cette pétition ? Seulement un manuel sur 8 représente correctement le clitoris qui est pourtant un organe important de plaisir sexuel.
Une réponse polémique du gouvernement à la pétition
Le 15 juillet, le chef du cabinet de Jean-Michel Blanquer, Christophe Pacohil, a répondu par communiqué à la pétition. « Si les programmes scolaires sont des textes officiels, la rédaction des manuels bénéficie du principe de la liberté éditoriale. En effet, les éditeurs ont entière liberté et responsabilité en ce qui concerne la conception, le choix des auteurs, la rédaction et l’illustration des manuels qu’ils proposent. Aussi le ministère n’a ni la vocation ni le droit de prescrire le contenu des manuels scolaires ». Tout en ajoutant que chaque enseignant jouit d’une liberté pédagogique quant à ce qu’il enseigne dans ses classes.

Pourquoi cette réponse fait-elle parler d’elle ?
Tout simplement parce que ces comptes Instagram se sont emparés du sujet et se sont insurgés de ce communiqué. Leurs arguments ? La victoire du patriarcat, l’absence d’une urgence éducative à ce sujet, le mensonge (supposé) de l’Éducation nationale et sa volonté de laisser de côté ce sujet trop polémique, la contribution à la culture du viol, etc.
Mais le problème de cette contestation est le ton agressif de certains instagrameurs, qui vont parfois jusqu’à manquer de respect à leurs followers. Ces derniers tentent souvent d’expliquer (et non d’excuser) la réponse du gouvernement et se retrouvent incendiés dans les commentaires. Il semble que la notoriété fausse la faculté de discernement de certaines personnalités, se prétendant plus à même de savoir ce qui est bon pour les gens en raison de leur nombre de followers ou du fait qu’ils fassent ce qu’ils font de façon bénévole.
Le dialogue est donc fermé, dans une boucle de haine dont il faut sortir pour comprendre les enjeux du sujet. On assiste à des guerres surréalistes dans les commentaires et des hors-sujets assez impressionnants.
Les questions à se poser
Les programmes de SVT dans le primaire et le secondaire sont-ils entre les mains du gouvernement ?
Oui, ils le sont.
L’État a-t-il la main sur l’impression des manuels scolaires ?
Non, et heureusement ! Si le gouvernement pouvait en son bon droit censurer et imposer des lignes éditoriales aux éditeurs, qu’ils soient de manuels scolaires, de romans, de poésies, nous serions dans un régime totalitaire où la liberté fondamentale d’expression qui existe depuis 1789 serait bafouée.
Mais alors, l’Éducation nationale ne devrait-elle pas insérer l’enseignement du clitoris dans les programmes scolaires et ainsi rendre obligatoire sa représentation ?
Là est la question fondamentale. Les programmes actuels étudient la reproduction, à laquelle, malheureusement mais véridiquement, le clitoris n’est pas essentiel. Les critiques viennent principalement de gens défendant que l’appareil reproducteur de l’homme est représenté et ainsi son moyen de jouissance, en revanche seul l’appareil reproducteur féminin est représenté, omettant cet organe du plaisir.
Ce à quoi la réponse est souvent la suivante : la femme peut aussi attendre la jouissance par la pénétration, tout comme l’homme peut atteindre la jouissance par le biais de son pénis, mais le fait est que c’est le contact avec le clitoris qui apporte l’orgasme, car celui-ci est aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du corps féminin. Mais les manières d’atteindre ce même orgasme par un rapport sexuel qui n’est pas centré sur la reproduction est méconnu, tout comme l’orgasme rendu possible par la prostate chez l’homme. Rappelons encore une fois que le programme ne concerne que la reproduction et la contraception et non le plaisir sexuel qui est l’affaire des cours d’éducation sexuelle.
Pourquoi est-il compliqué de parler de ces deux types d’orgasmes ?
Une fois de plus, le programme scolaire traite de la reproduction. Mais si on devait parler de plaisir dans le sexe, ce
En effet, un monde idéal où tous les parents respecteraient les envies et les choix de leurs enfants de découvrir leurs corps et leurs plaisirs
Pourquoi en vouloir aux programmes ?
La solution ne serait-elle pas de promouvoir une éducation sexuelle dans les établissements scolaires dans laquelle la contraception mais aussi le plaisir sont abordés ? Les pouvoirs publics, à juste titre ou non, considèrent que l’intimité, le plaisir sexuel, le désir, relèvent de la sphère du privé, de l’intime. Du point de vue des pouvoirs publics comme de celui des citoyens, l’État n’a aucun droit de décider dans les programmes scolaires la façon dont les gens devraient prendre du plaisir. Il est dangereux qu’il puisse intervenir dans des affaires si personnelles. De plus, il est souvent réservé à la famille, heureusement pour certains, malheureusement pour d’autres, le soin d’éduquer et d’apporter des réponses à propos de la vie sexuelle.
Prenons le temps de vérifier nos sources avant de nous lancer dans un débat. Prenons le temps de comprendre les motivations de chacun avant d’imposer notre propre vision. Mais surtout, prenons le temps de sensibiliser les jeunes à la sexualité afin qu’ils fassent leurs propres choix.
Image de couverture : © Gang du clito