Désorientés : comment trouver sa voie ?
Difficile de trouver sa voie à l’issue du baccalauréat. Tout juste majeurs, encore très scolaires, voilà les étudiants français lancés dans leur quête du meilleur cursus : quelles modalités d’apprentissage conviendront le mieux à leur personnalité ? Où parviendront-ils à trouver leur épanouissement ? Quelle voie saura leur offrir les opportunités professionnelles les plus intéressantes sur un marché de plus en plus concurrentiel ? Les questions se bousculent.
Influencés par leur entourage, leurs préjugés ou la peur de ne pouvoir trouver leur place sur le marché de l’emploi, parfois mal conseillés, un peu perdus, les jeunes bacheliers ne parviennent pas toujours à définir leurs attentes du premier coup. S’enchaînent alors les déceptions, les désillusions et les errements, mais aussi les découvertes, les expériences enrichissantes et les belles réussites. En effet, le parcours post-bac est souvent plus proche du zigzag que de la ligne droite. Mais faut-il pour autant s’en inquiéter ?
Pour discuter de ce sujet, L’Alter Ego a rencontré 5 jeunes qui ont connu, après leur baccalauréat général, un parcours atypique. Farah, Marcel, Riyad, Thomas et Valentine (1) se sont confiés sur les doutes, les réussites, les obstacles et les joies qui ont ponctué leur réorientation. Tous espèrent que leurs témoignages sauront rassurer les plus inquiets, convaincre les plus hésitants à se lancer et conforter les plus téméraires dans leur choix.
© CAMILLE TINON POUR L’ALTER EGO/APJ
Un premier choix par défaut…
Lorsqu’il s’agit de choisir son orientation, les bacheliers se retrouvent souvent démunis. Comment faire son choix ? De qui écouter les conseils ? Valentine, 22 ans, est une Strasbourgeoise fraîchement débarquée à Paris. Après trois ans en internat, elle décroche son baccalauréat scientifique et se dirige assez naturellement vers une licence éco-droit. Elle pense alors faire le bon choix : « J’aimais les chiffres et j’aimais le droit. Je voulais me pousser au maximum. »
Riyad a 19 ans. Après un baccalauréat scientifique obtenu avec mention, il s’oriente vers une licence de droit à l’université Paris-Sud. Son premier choix d’orientation, il admet l’avoir fait par dépit : « Je cherchais une filière pas trop restrictive sur les horaires. J’allais en cours pour avoir bonne conscience mais je ne travaillais pas, parce que ça ne m’intéressait pas. Ça aurait pu être du droit, de la chimie… peu importe. »
Marcel a 21 ans et vit à Paris. Son bac ES en poche, il entre en classe préparatoire économique et commerciale, avant d’intégrer une grande école de commerce. Pour Marcel également, le choix s’est quelque peu fait par défaut :
Je ne savais pas ce que je voulais faire et on m’a conseillé la prépa, qui dans l’esprit des gens ouvre plein de portes. Je me suis renseigné et les cours m’ont semblé variés et intéressants : philo, maths, histoire… j’y retrouvais les matières du lycée.
Marcel, 21 ans
…ou guidé par l’entourage
Pour Thomas, 21 ans, s’orienter vers une prépa intégrée (2) après son bac scientifique s’est également imposé comme la continuité logique de son expérience au lycée : « Au lycée, j’étais bon en maths et en physique. Ce n’était pas ce qui m’intéressait le plus mais, comme j’avais de bons résultats, tout le monde m’a poussé dans cette voie. J’étais plutôt intéressé par l’urbanisme et l’UTC (Université Technologique de Compiègne ndlr.) proposait une option urbanisme en troisième année. Je m’étais donc dit : je fais les deux années de prépa puis je choisis cette option. » Il se rappelle le rôle important qu’ont joué ses professeurs dans cette première orientation : « En Première, j’avais dit à ma prof d’histoire que j’aimerais peut-être faire une licence d’histoire et elle m’avait ri au nez car je n’avais pas de très bons résultats. »
Au moment de choisir son orientation, Farah, 22 ans, a elle aussi été guidée par son entourage. Après deux années de Terminale scientifique, elle décroche son baccalauréat et se dirige vers une classe préparatoire PTSI (Physique, Technologie et Sciences de l’Ingénieur) :
Pour ma mère, il ne fallait pas nécessairement que je m’oriente vers une classe prépa, mais il fallait que je fasse des sciences. Je n’ai pas du tout vécu cette première orientation comme un choix.
Farah, 22 ans
Marcel résume en quelques mots cette influence de l’entourage sur l’orientation : « Choisir son orientation après le bac revient davantage à effectuer un classement hasardeux de ses préférences qu’à exprimer un désir construit. On se laisse influencer par ce qu’on estime être la voix de la raison (les parents, les profs), puisque l’on n’a ni les outils ni assez de confiance pour choisir par nous-mêmes. »
Malaise dans l’orientation
© CAMILLE TINON POUR L’ALTER EGO/APJ
Une fois sa filière post-bac intégrée, l’étudiant perçoit généralement rapidement que son choix ne lui convient pas. Pour Valentine, qui sortait de trois ans d’internat, le contraste avec l’université était trop important : elle avait « trop de libertés ».
Avant même d’entrer en école de commerce, en lisant les plaquettes des écoles et des témoignages d’élèves, Marcel ressentait quelques appréhensions. Entré dans l’école, tous ses a priori semblaient se confirmer : « Cette manière de façonner le manager de demain ne correspondait pas vraiment à l’idée que je me faisais de l’enseignement supérieur ». Sans pouvoir encore poser de mots sur son malaise, il commençait à déprimer, se coupait des autres, ne se sentait pas à sa place.
Au bout de seulement quelques mois en prépa, Thomas pressent lui aussi que son cursus ne lui plaira pas :
Dans mon parcours, je pouvais choisir quelques matières optionnelles, comme la géographie ou la philosophie des sciences. Ces matières « périphériques » m’intéressaient beaucoup plus que les matières principales. La géographie que j’apprenais n’avait rien à voir avec celle du lycée : c’était passionnant.
Thomas, 21 ans
Pour Farah, il a toujours été certain que son orientation, imposée par sa famille, ne lui plairait pas : « Je séchais beaucoup les cours car, consciemment ou non, je sentais que je voulais faire autre chose. Je n’avais aucune motivation. C’était difficile. »
La réorientation : un problème systémique
En France, à l’université, seulement 40% des étudiants en première année de licence poursuivent l’année suivante dans la même formation (3). Les réorientations, encore pointées du doigt par nombre de recruteurs, sont donc pourtant monnaie courante.
Au-delà des difficultés individuelles rencontrées par les étudiants qui se réorientent, ces « accidents de parcours » représentent un problème d’envergure pour l’Etat : chaque année, c’est plus de 500 millions d’euros qui se « perdent » dans ces changements de parcours, soit l’équivalent du budget de fonctionnement de deux universités de taille moyenne (4).
Pour tenter de remédier à cette situation, l’Etat a déjà pris des mesures, parmi lesquelles la réforme du système d’Admission Post-Bac (APB), remplacé depuis 2018 par la plateforme Parcoursup. Pour quels résultats ? S’il est trop tôt pour déterminer si Parcoursup a permis aux bacheliers de trouver plus rapidement la voie qui leur correspond, il ressort du bilan établi par le Ministère de l’Enseignement supérieur que seulement 30% des postulants ont accepté immédiatement la première proposition que la plateforme leur offrait (5), laissant penser que moins de la moitié des étudiants était directement satisfaite de son affectation.
Cependant, il se peut que le problème soit plus profond : plus que la plateforme d’affectation, c’est en amont que le bât blesse. Mal informés sur les différentes possibilités de filières qui s’offrent à eux, trop jeunes pour s’enfermer dans une voie, peu sont les bacheliers à choisir leur orientation en pleine conscience. L’intervention de l’entourage et du corps professoral dans cette décision, si elle permet souvent d’alimenter les réflexions et d’être mieux informé, peut aussi avoir un effet inhibant – voire contre-productif.
Des réformes de fond sont donc à prévoir, dès le lycée comme dans l’enseignement supérieur, comme nous l’évoquerons dans la troisième partie de ce dossier. Mais d’abord, rendez-vous au prochain épisode, toujours en compagnie de Farah, Marcel, Riyad, Thomas et Valentine, pour évoquer la période de la réorientation – ou comment passer d’une filière à une autre, occuper les périodes de creux et faire accepter son choix à ses proches.
(1) Les prénoms ont été changés.
(2) Deux années de classe préparatoire ayant lieu au sein-même de l’école, plutôt que dans un lycée comme c’est le cas pour les classes préparatoires traditionnelles.
(3) Rapport France Stratégie 2017-2027, « La transition lycée – enseignement supérieur », Daniel Agacinski et Mohamed Harfi, 2017.
(4) Ibid.
(5) Libération CheckNews, « Peut-on établir un bilan chiffré de Parcoursup ? », Emma Donada, 19 octobre 2018.