Pourquoi le Grand débat national peine-t-il à convaincre ?
Depuis le 17 novembre 2018, ce sont des milliers de gens qui défilent et s’indignent de leurs conditions de vie, et de la faible influence du vote sur ce destin social. Bien des pancartes ont été brandies, et parmi elles a rapidement fleuri un acronyme lourd de sens : le RIC. Loin d’être aveugle, le président de la République, chantre de la verticalité jupitérienne, a dû prendre conscience que la réclamation du référendum d’initiative citoyenne était la preuve évidente d’un peuple lassé d’être aphone. À ce besoin de parole, le gouvernement a choisi de répondre par la mise en place du Grand débat national.
Au programme : des réunions d’initiatives locales, la possibilité de déposer des contributions en ligne, et enfin la constitution de conférences citoyennes régionales, composées de citoyens tirés au sort, et des parties prenantes au débat, chargées ensemble d’élaborer des « pistes concrètes » à partir des résultats des premières semaines de débat.
Un planning fournit donc, mais qui ne suscite pas un grand enthousiasme. En effet, d’après un sondage (1), 52 % des Français n’ont pas l’intention de participer au débat. Bien que ce chiffre soit purement prospectif, comment expliquer ce scepticisme autour d’un évènement vendu comme inédit et régénérateur de démocratie ?
Une initiative déjà considérée comme une combine politique
Il y a d’abord la question des intentions. Le baromètre de la confiance politique du CEVIPOF (2), affichait – en janvier – que 37 % des Français se déclaraient « méfiant » à l’égard de la politique, pire, 32 % se disaient même « dégoûtés » . On soupçonne le cynisme là où le pouvoir voudrait se montrer bienveillant, la défiance devenant ainsi la matrice de réception des mesures politiques. Le Grand débat n’échappe pas à cette règle.
Accusé d’être un calcul, une simple manoeuvre dilatoire, voire même un instrument de communication politique pour les élections européennes de mai, le Grand débat a pris son envol péniblement. En tournée dans toute la France, Emmanuel Macron a retroussé ses manches, rencontré des maires, et a fait preuve de pugnacité pour expliquer le bien-fondé de la politique gouvernementale, le tout dans une atmosphère de grand meeting. Tout cela a donné l’impression que le Grand débat était d’abord vu par le pouvoir comme une occasion de convaincre, à la manière d’une campagne. À tel point que la question du décompte du temps de parole du président de la République pour les élections européennes se pose (3).

En amont, le choix des conditions du débat par le gouvernement suscite également la méfiance. D’abord pressenti pour être organisé sous l’égide d’une commission indépendante, le gouvernement a finalement décidé de se passer des garanties de neutralité et d’impartialité qu’offrait la saisine de la Commission nationale des débats publics. Médiapart dévoilait (4) à ce propos les tractations entre Chantal Jouanno (présidente de la CNDP) et le gouvernement, montrant un pouvoir bien réticent à se plier aux conditions d’un vrai débat public, à savoir l’ouverture des questions et l’impossibilité d’imposer des lignes rouges. En organisant le débat lui-même, le gouvernement se permet d’être à la fois juge et partie, et d’éviter, par exemple, l’épineuse question du retour de l’impôt sur la fortune.
Un débat aux résultats trop incertains
Si débattre est une chose, décider en est une autre. Aux dernières nouvelles, la démocratie est un régime politique, pas un café philo. Or, le poids des délibérations citoyennes dans les décisions définitives inquiète, à l’image du site officiel du grand débat qui offre bien peu de garanties :
Les contributions seront remontées pour permettre une analyse approfondie à la fois quantitative et qualitative et ainsi nourrir une restitution placée sous le contrôle et la responsabilité de garants. Elles permettront de forger un nouveau pacte économique, social et environnemental et de structurer l’action du Gouvernement et du Parlement dans les prochains mois.
La formule, très technocratique, laisse perplexe.
Il faut aussi dire que ce débat doit s’épanouir sur des antécédents traumatiques. En 2005, le peuple français était consulté par référendum sur l’adoption d’un traité établissant une constitution pour l’Europe. Le « non » l’emportait alors nettement en recueillant 54,68 % des suffrages exprimés. Mais deux ans plus tard, les gouvernements européens ont adopté le Traité de Lisbonne, en reprenant les principaux éléments du traité avorté de 2005. Cette fois, le gouvernement français faisait le choix de la ratification parlementaire, omettant ainsi de consulter le peuple directement, et de risquer la contradiction. Plus récent et plus local, en 2016, était organisé un référendum auprès des électeurs de Loire-Atlantique sur l’opportunité de la construction de l’aéroport de Notre-Dames-des-Landes. Le « oui » arrivait largement en tête à 55,17 %, mais de nouveau, deux ans plus tard, le pouvoir faisait volte-face en déclarant l’abandon du projet. En dehors du bien-fondé de ces verdicts populaires, ces expériences démontrent leurs piètres valeurs.
Alors comment s’investir dans un processus démocratique à l’issue si incertaine, quand le passé illustre le dédain d’un pouvoir d’abord en quête de plébiscites ? La continuité des manifestations ces derniers samedis fait office de réponse. C’était comme si, chez les Gilets Jaunes, la manifestation restait le seul moyen efficace de se faire entendre. À raison, puisqu’à son zénith, le mouvement avait obtenu une revalorisation de la prime d’activité, et l’annulation de la hausse sur la CSG pour les retraités les plus démunis.
Pas sûr que dans ces conditions, le Grand débat aux allures de prêchi-prêcha de la politique gouvernementale, attire les foules. Encore moins celles, qui, trop nourris aux soupes chinoises à 70 centimes, n’envisagerai jamais de se convertir à l’optimisme néo-libéral.
(1) https://www.publicsenat.fr/article/politique/sondage-52-des-francais-n-ont-pas-l-intention-de-participer-au-grand-debat
(2) https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_vague10-1.pdf
(3) https://www.lepoint.fr/politique/grand-debat-comment-est-comptabilise-le-temps-de-parole-de-macron-21-01-2019-2287620_20.php
(4) https://www.mediapart.fr/journal/france/260119/grand-debat-les-secrets-d-un-hold?onglet=full
image de couverture : © bash pour l’alter ego/APJ