Travailler dans l’animation : qu’est-ce qu’en tirent les jeunes ?
Pour certains, le bac venait d’être décroché et pourtant les vacances n’ont pas pointé le bout de leur nez. Le réveil a de nouveau sonné pour ces jeunes qui ont décroché un job d’été. Et ce n’est pas n’importe lequel puisqu’il s’agissait d’un travail dans l’animation. Les « jolies colonies de vacances » (1966) comme les chantait Pierre Perret attirent toujours autant, et pourtant du côté des « anim’ », ce ne sont pas les difficultés qui manquent. C’est ce à quoi L’Alter Ego s’est intéressé, en recueillant les témoignages de cinq jeunes : Julie (19 ans), Juliette (19 ans), Jeanne (18 ans), Sacha (18 ans), et Enzo (20 ans) qui lui, travaille en centre aéré.

Pourquoi se consacrer à plus petit que soi ?
Tu ne fais pas de l’animation pour être payé, tu fais ça parce que tu aimes ça
confie Julie, 19 ans
Le monde de l’animation est ardu mais gratifiant. C’est parce qu’ils ont un bon contact avec les enfants que certains jeunes adultes choisissent cette voie. Pour Jeanne, c’est une source de plaisir : « C’est aussi pour avoir des expériences, tu as plein de souvenirs, plein d’histoires, ça crée une parenthèse dans ta vie » s’exclame-t-elle. Comme elle, près de 70% des jeunes ne partent pas en vacances d’été pour travailler selon un sondage en 2017 de Diplomeo. Bien sûr, l’objectif est de gagner un peu d’argent. Cependant, certains choisissent en particulier l’animation, car comme l’explique Enzo :
C’est un des seuls jobs saisonniers qui permette un peu de créativité (…) On n’est pas obligé d’exécuter sans réfléchir, on est carrément acteur de ce qu’on fait ». Pour Julie, c’est la volonté de transmettre aux enfants qui l’anime : « C’est une vraie volonté de les faire sortir de leur quotidien
Enzo, 20 ans
Le secteur de l’animation – notamment dans les colonies de vacances – est, lui, en demande constante.
Un emploi « à notre portée »
L’attractivité de ce travail saisonnier réside dans le fait que c’est un emploi accessible. C’est ce que souligne Sacha : « ce n’est pas le job le plus compliqué du monde ». Une facilité avantageuse pour des jeunes parfois fraîchement bacheliers et sans expérience professionnelle : « C’est aussi quelque chose qui est à notre portée sans avoir besoin de qualifications universitaires pour y accéder » ajoute Juliette. Mais c’est un caractère dont semblent profiter les entreprises : dans la colonie de vacances de Jeanne, il y avait une majorité d’animateurs en stage pratique. « Il n’y a pas de vrais animateurs car il faudrait les payer », dit-elle, leur reprochant le manque d’encadrement.
C’est aussi quelque chose qui est à notre portée sans avoir besoin de qualifications universitaires pour y accéder
Juliette, 19 ans
Le sésame, c’est le BAFA – Brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur de centre de vacances et de loisirs. Mais ce brevet ne s’obtient qu’après trois stages qui, cumulés, mobilisent 30 jours. Une alternative est moins connue, il s’agit du Diplôme d’état de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport (DEJEPS) qui est valable à vie. Sa formation en revanche s’étale sur un an.
Des qualifications qui engendrent un coût financier assez important. Le BAFA, lui, comprend un stage théorique qui a coûté 400 euros à Julie. S’ensuivent un stage pratique, la plupart du temps non rémunéré, puis un stage d’approfondissement qui coûte 400 euros.
Le côté pratique consiste à partir sur le terrain pendant au moins 14 jours, en colonie de vacances ou dans un centre de loisirs afin de mettre en application la formation théorique. Les jeunes adultes sont laissés à eux-même pour trouver leur stage, ce que Julie justifie en glissant « C’est comme une recherche d’emploi basique. ». La dernière étape afin d’obtenir son brevet est le stage d’approfondissement. Décortiquer le stage pratique, consolider ses connaissances et enrichir ses compétences dans un thème particulier tel que la petite enfance ou les ateliers théâtraux, voilà à quoi répond cette étape.
…Mais une formation qui peut être insaisissable
L’ensemble de la formation a un coût non négligeable qui est un frein pour certains, à l’instar d’Enzo qui a dû choisir entre le BAFA et le permis de conduire. Mais c’est surtout une indignation que provoque cet investissement financier. Juliette commente: « je trouve inadmissible qu’il y ait encore autant de discrimination vis-à-vis de ça, que ce type de job soit réservé encore une fois aux seules personnes qui ont les moyens. » Sauf que comme nous l’apprend Julie, chaque colonie dispose de quotas pour les animateurs qui ont le BAFA, ceux qui sont en stage pratique du BAFA et ceux qui ne l’ont pas.
je trouve inadmissible qu’il y ait encore autant de discrimination vis-à-vis de ça, que ce type de job soit réservé encore une fois aux seules personnes qui ont les moyens.
Juliette, 19 ans
Travailler en colonie de vacances sans le précieux sésame ne serait donc pas désavantageux ? « Je suis partagée : il est essentiel d’avoir le BAFA car encadrer des enfants sans un minimum de formation peut être déstabilisant pour l’animateur. Le problème, c’est le fait que le BAFA soit payant, ce n’est pas normal pour moi. » répond Julie qui en est à sa deuxième colo. Ne pas avoir suivi de formation, ce n’est pourtant pas ce qui a fait froid aux yeux à Juliette. Pour elle, « il faut être un minimum autonome et savoir rebondir quand quelque chose ne marche pas ».
Être animateur est aussi synonyme de difficultés
Mais rebondir, ce n’est pas quelque chose d’aussi facile que ça. Le travail d’animateur peut en effet s’avérer rude. Les horaires sont un frein important à l’attractivité de ce secteur, c’est l’une des contraintes marquantes de ce job. Un obstacle dont a dû se saisir la justice, à l’instar de la Cour de justice de l’Union européenne. En 2010, un arrêt de la CJUE condamnait le « contrat d’engagement éducatif », un statut sous lequel travaille un moniteur de colonie de vacances. La cause ? Des journées de travail trop longues. Sur le papier, un animateur doit disposer de onze heures de repos journalières. Une utopie en réalité, qui déclenche un rire jaune chez Julie : « C’est à mourir de rire ».
Les journées s’étalent de 8h à 2h du matin pour certains, ce qui en vient à poser le problème de la sécurité des enfants.
En effet, disposer de moins de onze heures de repos par jour affecte la qualité de surveillance de l’animateur. Or celui-ci est responsable de l’enfant en termes de sécurité physique, morale et affective. Par conséquent, selon Jeanne « il faut être fort psychologiquement, physiquement, faut assurer et ne pas dormir ». Ce qui nous semble être un marathon pour que les bouts de chou passent de bonnes vacances engendre un travail sur soi : « Il faut que tu dépasses tes limites » dit-elle.
« Ils savent qu’on est des jeunes donc c’est pour ça aussi, je pense, qu’ils nous payent aussi mal »
L’investissement physique n’est pas associé à une rémunération à la hauteur des espérances, ce qui met en lumière une autre difficulté. Le décalage entre la rémunération et l’investissement est même qualifié de « déroutant » par Juliette. La moyenne salariale est de trente euros par jour là où le SMIC horaire net en 2018 est de 53,25€. Un salaire dérisoire donc par rapport à l’effort demandé. Par exemple, Julie a été rémunéré 300 euros pour une colonie de vacances de deux semaines. Impossible donc d’en faire une activité permanente et exclusive.
Notre interlocutrice accuse les directions d’être sans arrêt à la recherche du profit : « (…) Ils savent qu’on est des jeunes donc c’est pour ça aussi, je pense, qu’ils nous payent aussi mal » En conséquence, la précarité de ce travail refroidit les quelques jeunes à moitié motivés.
La douche peut être froide pour certains stagiaires en stage pratique car la plupart ne sont pas rémunérés, ou très peu à l’instar d’Enzo qui était payé trois euros de l’heure, voire pas du tout. Un gros problème qui s’apparente à un manque de respect pour ces animateurs, et qui scandalise Enzo :
On est en train de créer un genre de travail qui est un quasi volontariat et du coup c’est dommage parce qu’on a pas forcément les mêmes profils qui sont intéressés, on a pleins d’animateurs hyper talentueux qui doivent arrêter de travailler dans l’animation parce que c’est pas assez payé.
Enzo, 20 ans
Les animateurs nous disent privilégier l’enrichissement personnel au revenu. Mais finalement, ce qui ressort de nos témoignages est que les jeunes adultes mettent cet emploi au service d’un projet collectif : celui du partage, de la transmission d’un savoir et de la volonté de faire grandir des enfants qui sont, le temps de quelques semaines, en terrain inconnu. Grandir, c’est aussi ce qu’apporte ce travail aux animateurs : de la tolérance à la responsabilité, en passant par la polyvalence, les jeunes que nous avons rencontrés nous montrent à quel point ils en sont sortis changés.
La jeunesse est donc généreuse, mais surtout lucide sur le statut d’animateur qui n’est pas adapté et les solutions que l’on pourrait apporter à ce milieu professionnel : par exemple, rembourser le BAFA. C’est le cas dans certaines situations exceptionnelles : il peut être financé en partie par la CAF (Caisse d’allocations familiales), par les conseils régionaux et généraux à travers des bourses, par des comités d’entreprises, les communes et enfin les scouts. Rembourser, c’est une nécessité pour certains, car il faut plus d’animateurs. Toutefois Sacha ne partage pas cet avis :
Je trouve ça normal que ce soit payant parce que ça demande du travail (…) le fait que ce soit payant pousse les gens à être sérieux, tu payes, c’est pour bosser.
sacha, 18 ans
Enzo lui s’intéresse plus largement à la raison de ce coût : « Oui, je trouve ça normal que ce soit payant parce qu’en fait il faut déjà payer les formateurs et ils sont déjà très mal payés parce qu’il y a très peu de subventions pour la jeunesse dans les collectivités territoriales (…) du coup il faut les soutenir. »
La professionnalisation du statut d’animateur est donc un chantier dont doit se saisir l’exécutif actuel, ce que pointe du doigt Juliette, qui parle d’un « abandon public vis-à-vis de ces activités-là [de l’animation] ».
image de couverture : © camille tinon pour l’alter Ego/APJ