De sang et d’espoir : l’endométriose, une question de société
Qu’est-ce que l’endométriose ?
L’endométriose, nom barbare d’une maladie de la douleur. De la souffrance des femmes, d’abord, et de la violence d’une société, ensuite. L’endométriose provoque une migration des cellules du tissu utérin (l’endomètre) vers différents organes proches comme les trompes de Fallope et les ovaires. Au fur et à mesure, cette migration permet à l’endomètre de se développer là où il ne devrait pas être. N’étant pas à sa place, ce tissu provoque lésions, adhérences et kystes dans les organes colonisés. Durant les règles, sous l’effet des hormones, l’endomètre se désagrège et est éliminé s’il n’y a pas eu de fécondation. Selon l’INSERM (Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale)
Les lésions sont sensibles aux hormones féminines et se comportent comme du tissu utérin. Les lésions vont donc proliférer, saigner et laisser des cicatrices fibreuses à chaque cycle menstruel.
Comme le souligne l’association EndoFrance : « Cette colonisation, si elle a principalement lieu sur les organes génitaux et le péritoine, peut fréquemment s’étendre aux appareils urinaire, digestif, et plus rarement pulmonaire. ». Le fait que des fragments d’endomètre soient sur d’autres organes que l’utérus peut alors provoquer de fortes douleurs abdominales pendant les règles. Indirectement, cela crée de la fatigue et des incapacités, comme celles de se mouvoir, de participer à la vie de sa famille ou de travailler. L’endométriose engendre également de forts risques d’infertilité et des effets indirects qui impactent la vie des malades. Par exemple, l’emplacement des lésions peut produire d’importantes douleurs pendant les rapports sexuels. Cette maladie touche une femme sur dix.
Les douleurs liées à l’endométriose varient selon les patientes. L’endométriose peut être profonde, ou superficielle (selon l’emplacement des lésions). Cette maladie revêt plusieurs formes, chaque cas est unique, ce qui rend son diagnostic difficile. Sa prise en charge doit donc être individualisée. Depuis quelques années, l’omerta inhérente aux douleurs pendant les règles se lève, et par ce biais, certaines femmes atteintes de l’endométriose se sentent légitimes de témoigner de la longueur du diagnostic, ou de l’inhumanité de certains médecins. Se sentant désarmées après, parfois, des années d’errance médicale, ces femmes prennent la parole aujourd’hui pour évoquer les souffrances physiques et psychiques liées à la complexité de leur parcours médical. Face à une telle diversité, et un tel silence dans la société et le corps médical, L’Alter Ego a mené une enquête auprès de sept femmes, partout en France, ayant entre 18 et 40 ans.
L’endométriose est une maladie très mal diagnostiquée, qui ne se guérit pas ; cependant, on peut la stabiliser et en traiter les symptômes. Elle est la source d’une longue souffrance mais aussi d’une volonté forte, celle de porter un combat, en soi, dans son corps, sans pourtant renoncer à son travail, à sa famille et à ses amours.
Les personnes que l’on a rencontrées rejettent la pitié en bloc, et ne réclament rien d’autre que la reconnaissance de leur combat contre la maladie. Elles nous le disent toutes : « Ce n’est pas normal de souffrir pendant ses règles, si vous ne pouvez pas aller en cours ou au travail, ce n’est pas un caprice. ». Elles nous interpellent également :
J’aimerais une société où l’on reconnaisse notre maladie, qu’on ne nous voie pas comme des menteuses ou des victimes, mais comme des battantes.
Les sept femmes interrogées, que vous allez retrouver tout au long du dossier, s’appellent Inès* (18 ans), Anissa (21 ans), Clara (20 ans), Angélique (37 ans), Juliette* (40 ans), Sandrine (33 ans) et Virginie (29 ans).

Les symptômes vus par les malades
Sandrine, 33 ans, diagnostiquée il y a 3 ans, nous explique : « J’ai fait une hémorragie interne et j’avais quelques douleurs. Je ne pouvais plus m’asseoir en période de règles. Je ne suis pas quelqu’un qui va voir le médecin mais là ce n’était pas normal, et puis ça ne me faisait pas ça avant. » Cette dernière nous confie qu’après de très fortes douleurs pendant ses règles, elle décide enfin d’aller à l’hôpital. Après une échographie, on remarque seulement qu’un de ses ovaires est plus gros que l’autre. Il a fallu trois allers-retours à l’hôpital pour être enfin prise en charge. L’ampleur de l’épanchement augmentait avec le temps, une situation des plus anormales.
Sandrine, 33 ans, lors de son diagnostic :

Les symptômes varient selon les femmes, mais globalement c’est la douleur qui vient en premier dans les témoignages, puis les lésions qui peuvent aller jusqu’à la détérioration des organes – les reins par exemple. Cependant, tous ces symptômes impliquent des complications, à la fois physiques et psychologiques.
Clara, 20 ans, nous explique : « Depuis que j’ai 12 ans, j’ai toujours eu mal, j’ai eu des douleurs qui étaient vraiment horribles, j’ai fait des malaises à l’école, mais on n’a jamais rien soupçonné jusqu’à mes 17 ans. » En parallèle, comme nous le rapporte Inès, 18 ans : « Il y a des problèmes intestinaux importants, très contraignants au quotidien. ». D’ailleurs Juliette*, 40 ans, nous explique : « J’ai eu un parcours médical assez difficile puisqu’on a mis du temps avant de trouver ce que j’avais. Il y a cinq ans, j’ai subi quatre opérations, la première, c’était pour enlever un nodule**, une trompe de Fallope et nettoyer l’intestin. » Juliette a été diagnostiquée à 34 ans, mais était malade dès ses premières règles, soit un écart de 21 ans. Autrement dit, Juliette a souffert environ 20 ans de cette maladie avant qu’elle ne soit enfin diagnostiquée. Comme toutes les maladies qui se propagent, plus le diagnostic arrive tard, plus les organes sont atteints. D’où la nécessité de quatre opérations en seulement deux ans.
Anissa, 21 ans, nous décrit sa maladie : « On est plus sensibles aux infections, il y a trois semaines j’ai été hospitalisée : une petite infection urinaire s’est transformée en pyélonéphrite. Je me retrouve à 21 ans avec des reins abîmés. On est aussi beaucoup plus sensibles aux mycoses et la guérison est plus difficile. J’ai l’impression qu’on a un système immunitaire plus faible. ». L’endométriose ne provoque pas d’affaiblissement du système immunitaire. En revanche, la douleur permanente, « les crises qui me réveillent la nuit » (Clara), le fait « de ne pas pouvoir se lever pour aller au travail pour certaines femmes » (Sandrine), témoignent de la fatigue permanente qu’implique l’endométriose. Or, la fatigue est un facteur favorisant l’affaiblissement du système immunitaire.
Le rapport à la fatigue : un élément clé
S’il y a beaucoup de différences entre les sept femmes que l’on a interviewées, il y a bien un dénominateur commun. 100 % des femmes interrogées estiment que l’endométriose les épuise. Ainsi, à la question « Pensez-vous que l’on puisse considérer l’endométriose comme un handicap ? », les sept femmes ont répondu « oui » et avancent en premier lieu l’incapacité liée à la fatigue. Incapacité scolaire, sociale, professionnelle, familiale, sexuelle.
À cette fatigue physique, on peut ajouter une fatigue psychologique qui fait partie intégrante des conséquences de la maladie. Sandrine nous confie une discussion qu’elle a pu avoir avec une autre femme atteinte d’endométriose : « J’ai parlé à une femme de 25 ans qui m’a dit qu’elle n’arrivait pas à avoir une vie normale, qu’elle était tout le temps crevée. Ça, les gens ont du mal à le comprendre. Pour eux c’est du chichi, on fait les chochottes, mais ce n’est pas le cas. Il y a une incompréhension autour de nous qui augmente notre épuisement, car on met de l’énergie à expliquer aux gens. On n’est pas à plaindre, on est juste crevées. » La fatigue dont nous parle Sandrine peut créer une fragilité psychologique et s’accompagne parfois d’une dévalorisation de soi.

Les complications liées à la fatigue psychologique et donc au désamour de sa personne peuvent provoquer un véritable handicap social que nous explique Angélique, 37 ans : « Les problèmes de fatigue jouent aussi un grand rôle dans les relations avec les gens. C’est assez handicapant socialement. […] Comme je l’ai dit, il y a beaucoup de fatigue et pas mal d’effets psychologiques. On est malades à vie, souvent on a peur d’être mal conseillées. »
Au-delà des symptômes directs, des conséquences sur la sexualité
L’endométriose implique une grande variété de conséquences psychologiques néfastes dues à la fois aux symptômes de la maladie, à la prise de médicaments (des traitements hormonaux pour empêcher les règles et d’autres traitements qui agissent sur les symptômes) et au regard que porte la société sur les malades. Ce sont probablement les conséquences psychologiques qui sont ressenties comme les plus violentes. Lorsque l’on interroge ces femmes sur leur ressenti psychologique, nombreuses sont celles qui pleurent, pour des raisons diverses.
Tout d’abord, du point de vue de la sexualité, Inès décrit :

Le témoignage d’Inès est appuyé par l’expérience d’autres femmes, profondément marquées au sein de leurs vies conjugale et sexuelle. Par exemple, Virginie nous dévoile que son ex-conjoint lui reprochait d’être tout le temps fatiguée : « Je me suis séparée de mon conjoint, c’est l’endométriose qui a tué notre couple. D’un point de vue moral c’est terrible. On m’a même clairement dit que j’avais les gènes de la dépression ou que j’avais besoin de me faire remarquer. Au moment de ma rupture, un médecin m’a dit : « Madame, vous venez de laisser passer la seule chance d’avoir un enfant. » ». La complexité du rapport au médecin comme facteur aggravant de la condition psychologique est également une constante, 100 % des femmes ayant répondu que le parcours médical n’est pas suffisamment efficace d’un point de vue moral. Autrement dit, le suivi psychologique est quasi-inexistant.
En plus de la fatigue psychologique et de la sexualité empêchée, le sentiment de culpabilité revient très souvent dans les réponses (6 femmes sur 7). Une culpabilité très différente selon l’âge.
La culpabilité, symbole d’un problème de considération de la maladie ?
Chez les deux femmes les plus jeunes (18 et 20 ans), c’est-à-dire Clara et Inès, la culpabilité se décline en frustration. D’une part, Clara nous dit : « J’ai le sentiment d’injustice, je regarde les autres filles qui sont normales et ça me fait regretter que je ne sois pas comme tout le monde », comme si elle se reprochait de ne pas être suffisamment dans la norme. D’autre part, Inès se sent coupable de ne pas avoir insisté sur ce qu’elle éprouvait de sa maladie : « En lisant, je ressentais, je savais, j’étais persuadée de correspondre parfaitement aux symptômes, mais c’était difficile de conclure cela car les examens montraient que non. Ma mère m’a répondu que de toute façon, on avait fait les bons examens, il fallait que j’enlève cette idée de ma tête. Cette sensation intime d’avoir ça, mais en même temps, les médecins et ma mère me disaient que ce n’était pas le cas. »
Avec l’âge, on voit apparaître d’autres formes de culpabilité à travers le couple, puis avec les enfants. Anissa nous confie : « On se remet en question, on va culpabiliser ; on est malade au quotidien. Ça joue énormément sur le plan psychologique. J’ai eu un copain très compréhensif à ce niveau-là mais une femme peut tomber sur un·e partenaire qui ne comprend pas pourquoi on ne peut pas faire tout ce que l’on veut. ». De même, Juliette nous répond :

Enfin, Angélique nous avoue : « J’ai eu la chance d’avoir deux enfants, avec deux grossesses très difficiles. Lorsque l’endométriose m’empêche de m’occuper d’eux, je ressens une culpabilité terrible. Aujourd’hui, c’est beaucoup mieux puisque mes deux filles sont autonomes, mais quand elles étaient plus petites, je ressentais une forte culpabilité. Ce moment-là de ma vie est probablement l’un des pires, pire que quand je souffrais sans connaître ma maladie. »
L’endométriose est donc une maladie violente pour le corps et l’esprit. Elle prend diverses formes et est plus ou moins ressentie comme un handicap. Selon les cas, c’est la source d’une sexualité douloureuse, d’une fatigue interminable et d’un poids médical important. Enfin, c’est une maladie qui peut provoquer de la frustration et de la culpabilité parce qu’elle touche à la liberté de mouvement et à la capacité de construire sa vie comme on le souhaite. Au vu de ces entretiens, on peut se poser la question de l’impact du milieu médical et des traitements sur la vie des malades. Question que l’on se posera dans le deuxième article de ce dossier.
* : Prénom modifié
** : Un nodule est une grosseur anormale de forme généralement arrondie, qui se développe à la surface d’un tissu ou dans un organe.