Les cinémas indépendants : mort annoncée, ou renaissance ?
Le cinéma n’est-il plus qu’une machine industrielle ? Voici la question que l’on est en droit de se poser. Alors que le nombre d’entrées en salle ne cesse d’augmenter depuis les années 1990 (115 millions d’entrées en 1990, 210 millions en 2014), l’influence des cinémas indépendant continue de régresser au profit des grands multiplex. Ces derniers proposent une offre de plus en plus restreinte de films en salle, préférant miser sur les films à gros voire très gros budget plutôt que sur les films de genre ou les films de série B à petit budget, peu rentables.
Le septième art semble ainsi de plus en plus s’industrialiser à l’heure de l’économie globalisée de marché. Mais de nombreuses alternatives se mettent en place pour contrer la centralisation du septième art, et pour redonner ses lettres de noblesse au cinéma indépendant générant peu de profit soit, mais proposant des films qui deviendront les classiques de demain.

Une centralisation du septième art autour des multiplex
Les Français sont très attachés au cinéma, aller voir un film est devenu un rituel laïque moderne pour chaque génération, un accès à la culture à moindre coût, et convivial. Depuis que les frères Lumière ont inventé le cinématographe à Lyon en 1895, le cinéma s’est fortement développé et est devenu une machine à faire de l’argent. À rebours des grosses productions américaines, le cinéma français est souvent à l’avant-garde des évolutions cinématographiques, tant sur la forme que sur le fond.
Dans les années 50, les cinémas français comptabilisaient plus de 500 millions d’entrées par an, un record en Europe. Avec l’arrivée de la télévision, le nombre de spectateurs en salle a chuté jusqu’à 116 millions en 1992. La mondialisation a renforcé l’arrivée des gros films américains sur le sol français, et a contribué à l’émergence de grands multiplex, c’est à dire de firmes de cinémas proposant une offre de films peu variée mais adaptée à la demande du grand public. Aujourd’hui, 3 grandes firmes concentrent les entrées : Gaumont, MK2 et UGC. Implantés surtout dans les très grandes villes, ces cinémas génèrent beaucoup d’argent (88 % des recettes en terme d’entrées chaque année) mais n’offrent aux spectateurs que la partie émergée de la production cinématographique, en choisissant de projeter les films rentables. Or, 90 % des films produits en France aujourd’hui ne sont pas rentables (Le Figaro, 2014). Ce chiffre stupéfiant prouve donc que les multiplex ne projettent qu’une infime partie des films français, comme les comédies de divertissement, pâle reflet du septième art français.
Centralisation donc, renforcée par les spectateurs eux-mêmes qui préfèrent la plupart du temps aller dans le cinéma le plus proche voir les films médiatisés plutôt que dans les petits cinémas obscurs. Attachement au cinéma en soi ? Ou attachement au cinéma grand public ? La question se pose.
Quelle place pour le cinéma indépendant ?
Le cinéma indépendant n’est pas rattaché à une firme de production ou de distribution industrielle.
Alors, disons-le tout de suite, non, le cinémas indépendant ne sont pas mort, bien au contraire. En France, 72 % des cinémas sont indépendants, c’est à dire une très grande majorité. Dans les villes moyennes, où la population est inférieure à 100 000 habitants, presque tous les cinémas le sont. Pour prendre un seul exemple, dans la ville de Lisieux, en Normandie, deux cinémas indépendants proposent des films aux 21 000 habitants.
Mais tout n’est pas blanc ou noir : les cinémas indépendants peuvent très bien projeter des films à gros budget, ce n’est pas le contenu de la programmation qui définit le cinéma mais sa philosophie : d’un côté les multiplex ont pour fin le profit, les cinémas indépendants ont pour fin les spectateurs, car étant plus petits, ils misent sur la fidélité de ces derniers qui garantissent les revenus. Là se trouve la différence essentielle.
Comment survivre alors, dans un monde où le profit devient la fin de nos actions ? Le cinéma indépendant qui autrefois était une évidence en France devient de plus en plus engagé, devient de plus en plus un modèle alternatif face aux grandes firmes.
Des alternatives qui se développent
Depuis les années 1990, de nombreuses initiatives indépendantes tentent de redonner ses lettres de noblesse à un modèle cinématographique autonome. En 1991, une pétition est lancée par des professionnels du milieu afin de sensibiliser le public quant à la mort annoncée de l’autonomie cinématographique face aux grandes firmes de production, qui est un corollaire essentiel assurant la liberté de création des auteurs. Son nom : Résister.
Il s’agit donc pour les cinéastes de résister, de ne pas se laisser imposer une morale qui n’est pas la leur : une morale qui ne pense qu’en termes de classement, de hiérarchie, d’exclusion, d’argent. Depuis toujours dans le cinéma français la marge et le centre sont intimement liés, indissociables. Toucher l’un, c’est atteindre l’autre. Henri Langlois avait fondé sa morale sur l’idée que « tous les films sont égaux ». Il n’en est pas d’autre qui vaille. Il s’agit donc pour les cinéastes de résister. Résister en donnant une vraie chance à tous les films d’être vus.
Cette dernière reçoit un écho certain en France, et dès 1992 l’ACID (Association pour le Cinéma Indépendant et sa Diffusion) est créée, et revendique un certain savoir-faire, un artisanat cinématographique.
Autre exemple : en 2017, les CIP (Cinémas Indépendants Parisiens) lancent une carte de fidélité offrant des tarifs réduits pour aller voir des films dans les cinémas indépendants parisiens, regroupés au sein du collectif «Utopia». Les prix sont divisés par 2 voire 3 par rapport aux grands multiplex : le prix d’une place de ces derniers varie entre 11 et 15 euros à Paris ; avec la carte, le spectateur peut aller voir 5 films indépendants sur 6 mois pour le prix de 30 euros (6 euros la place), ou aller voir 9 films en 9 mois pour 48 euros (environ 5.50 euros la place). Le bas prix fait parti de la politique des CIP, il est un vecteur d’attractivité pour le spectateur n’ayant pas l’habitude de goûter à ce modèle de cinéma, faute de publicité suffisante. L’initiative est un succès, puisqu’en 2017, le Ciné104 de Pantin engrange 70 000 entrées à lui seul, un record pour ce cinéma indépendant.
Cinémas indépendants, cinémas de quartier, vous n’êtes pas mort. Ces dernières années ont montré que les professionnels français du cinéma tiennent à vous et qu’ils tentent de vous viabiliser dans le paysage cinématographique actuel. L’essentiel est en effet d’éduquer le spectateur, de le sensibiliser à la production cinématographique, pour qu’il aille de lui même voir autre chose que les blockbuster, nécessaires au cinéma certes, mais qui ne sauraient suffire pour faire évoluer le septième art, le régénérer, à l’heure de la culture de masse, la culture de l’instant.
image de couverture : © Alexandre Chassignon via flickr