« Que faites-vous dans la vie ? – De la politique. »
On n’a jamais plus entendu parler de renouvellement de la vie politique que depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir et notamment à l’occasion des élections législatives. On a entendu parler de « dégagisme », de société civile, d’inexpérimentation, de tout un tas de termes associés à la politique, au « métier » de politique.

Avant de pouvoir parler de transformations intrinsèques à ce métier, une courte parenthèse historique s’impose afin de comprendre d’où ces évolutions tirent leur origine.
À partir de la fin du XIXe siècle, la politique est regardée comme une profession à part entière : de véritables « entrepreneurs politiques » viennent supplanter les bourgeois locaux pour qui l’activité politique ne vient qu’étoffer un prestige social suffisant pour conquérir le pouvoir. On constate à ce même moment la formation de partis politiques, qui participent à cette professionnalisation croissante. Rapidement, la politique occupe une place grandissante et monopolise le quotidien de « professionnels de la politique », appelés à assurer la fonction de direction des affaires politiques au nom des « profanes ». Parce qu’en effet, nos démocraties encensent le système représentatif, ce système qui considère que certains sont aptes à être du métier, à en comprendre les codes, les vices et les ressorts, et d’autres qui, ne l’étant pas, s’en remettent à eux pour prendre des décisions. Par là, la politique ressemble de loin à une profession comme une autre : chacune possède sa spécialité et est consultée en fonction de ses compétences. La politique s’est professionnalisée en même temps que tous les autres métiers, par l’action de la division du travail dans des sociétés toujours plus complexes.
[la politique est] un métier qui ne s’apprend pas
Jacques Lagroye, politiste
Pour autant, considère-t-on la politique comme un métier à proprement parler ? Tout semble éloigner cette profession de n’importe quelle autre. Le politiste Jacques Lagroye disait de la politique qu’elle est « un métier qui ne s’apprend pas ». On lui confère quelque chose de l’ordre du don, de la destinée. Pendant longtemps, cette discipline avait pour fonction d’être la seule vocation de celui qui décide de s’engager dans cette voie. On était alors homme politique (à l’époque, les femmes n’y avaient pas leur place) et rien d’autre.
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, un point de non-retour semble avoir été atteint. « Les politiques sont déconnectés du monde réel » : il n’est désormais plus acceptable qu’une personne censée représenter le peuple ne tisse avec lui aucun lien. D’ordinaire issues de classes sociales supérieures, les personnalités politiques font très tôt leur entrée dans le métier en ayant à leur palmarès diplômes et récompenses prestigieux. Ce mécanisme élitiste a-t-il véritablement été balayé d’un revers de la main par le macronisme à l’étiquette novatrice ?
Tout change, pour que rien ne change
L’Assemblée nationale s’est certes renouvelée cette année, ouvrant ses portes à la « société civile » issue du « vrai monde ». Oui, de nombreux novices de la politique ont fait leur apparition, non, les profils sociologiques n’ont pas évolué : 70 % des élus LREM sont issus de classes supérieures (1), on compte un unique ouvrier parmi nos 577 députés. Peut-on dès lors se targuer de faire de la politique autrement ?
La politique aurait changé. Plus précisément la façon de l’exercer. J’ai découvert cela à l’occasion d’une conférence avec trois jeunes députés (Julien Dive des Républicains, Aurore Bergé de La République en marche et Adrien Quatennens de la France insoumise, les deux derniers étant entrés en politique avec la XVe législature), pour qui elle ne constituerait qu’un passage provisoire de la vie. Aujourd’hui, il faudrait quitter son bureau pour s’engager le temps d’un mandat, puis retourner à ses occupations une fois celui-ci achevé. Ce discours se retrouve dans la bouche de beaucoup de députés LREM.

La politique ne pourrait donc plus être une vocation à part entière. Si être du métier ne s’apprend pas – on peut entrer en politique par différentes portes (cf Quatennens lui-même, conseiller clientèle entreprises pour EDF) – avoir du métier serait désormais proscrit. On limite le nombre de mandats dans le temps, on interdit leur cumul. Aujourd’hui être qualifié de professionnel de la politique est devenu insultant. Aujourd’hui on « dégage » les cumulards. Aujourd’hui on consacre l’inexpérimentation, qui permettrait de franchir certaines barrières idéologiques.
Une évolution qui reste à prouver
Les querelles de politique politicienne ont-elles pour autant disparu ? La politique peut-elle réellement renouveler ses pratiques ? Le champ politique, au sens que Bourdieu lui attribue, forme un petit monde social relativement autonome qui édicte ses propres règles de fonctionnement. Les acteurs évoluant en son sein développent des structures mentales communes, orientées vers un même enjeu : obtenir le pouvoir et le conserver. Dès lors, s’émanciper des règles, c’est immédiatement se mettre hors jeu. On peut trouver dans l’actualité récente un exemple probant du rouage dans lequel s’inscrit le monde politique : celui concernant la menace d’exclusion d’un député LREM, dont le seul tort est d’avoir voté contre le projet de loi Asile et immigration. Alors que le macronisme s’affiche comme précurseur d’une politique nouvelle ouverte au pluralisme des opinions, quel message envoie la majorité en voulant punir l’expression de cette diversité ? Celui de réflexes anciens bien ancrés dans des logiques de partis, dont l’autorité ne peut faillir.
Cette évolution pose décidément question. Certes, ils existent, les politicards rompus au métier, profitant peut-être trop des avantages que celui-ci leur confère, attachés à la reconnaissance conquise au fil des années. Associer ce comportement à l’expérience acquise par un homme politique se révèle un raccourci bien trop direct et insuffisant. Être expérimenté n’a rien de péjoratif : jongler avec les dossiers, jouer sur plusieurs terrains ne s’improvise pas. Aussi, de quelle expérience parle-t-on ? Là se pose tout l’enjeu de trouver une définition précise du métier de politique. Les médias sont aujourd’hui le lieu-même où se déroule la vie politique, le travail d’élaboration de rapports, de réformes étant dédié à des collaborateurs ou à des experts. Dès lors, suffirait-il d’être un bon communicant pour être un bon politique ?

Contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, l’âge, le niveau de professionnalisme, n’est en rien synonyme de refonte du métier. Avant d’ovationner un soi-disant renouvellement de la classe politique, interrogeons-nous sur le réel renouvellement des pratiques et des idées qu’elle porte. Il serait temps de reposer le problème correctement : la question n’est pas celle de faire de la politique sa vie ou non, mais bien de sortir des raisonnements poussiéreux propices à l’inertie des débats. Même projet de loi, autre exemple : Claude Goasguen, entré en politique en 1986, député de 1993 à 1995 puis depuis 1997, aujourd’hui sous l’étiquette Les Républicains, approuvant le 22 avril dernier un amendement France Insoumise à l’article 22 du projet de loi Asile et immigration pour protéger les jeunes au pair des risques d’esclavage moderne. En voilà, un geste intelligent, on ne peut plus rare, soutenu ni par un novice de la politique, ni par un acteur de notre fameuse société civile, ni les deux à la fois. On remarque grâce à la confrontation des deux exemples que dans la pratique, la « nouvelle politique » dépassant les clivages partisans portée par la vague de néo-députés LREM s’observe non pas de leur côté où le pouvoir reste par ailleurs très vertical, mais bien chez des personnalités politiques tout à fait insoupçonnables : anciennes, expérimentées.
La politique est un espace où s’opposent différentes visions du monde. Cela, rien ne pourra y changer. La politique est davantage encore l’art du discours. Y introduire un brin d’ouverture d’esprit et de matérialisation des idées audacieuses est maintenant plus que nécessaire.
(1) Luc Rouban du CEVIPOF, L’enquête électorale française : comprendre 2017
image de couverture : © Bash Pour l’alter ego/apj