Féminicide, qu’attend la France ?
Le rapport du secrétariat à l’égalité homme-femme de mars 2018 est sans appel : 225 000 femmes déclarent avoir été victimes ou sont victimes de violences de la part de l’homme qui partage leur vie ou l’a partagée au cours de l’année 2017. Ces violences, souvent répétées, mènent parfois à la mort des victimes. En effet, en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Il semble alors évident que les 123 femmes tuées par leur conjoint en 2016 l’aient été puisque femme. Si elles avaient été du sexe opposé, elles ne seraient pas toutes mortes : 34 hommes, « seulement », sont morts sous les coups de leur conjoint(e), soit 3 fois moins de victimes masculines que féminines. L’identité féminine multiplie donc par 3 les « risques » d’un individu de mourir assassiné par son partenaire.
Pourquoi le féminicide, le meurtre d’une femme en raison de sa condition de femme, n’est-il alors pas inscrit dans la loi ?

Pour les détracteurs de cette mesure, reconnaître le féminicide reviendrait à dire que le meurtre d’une femme est plus grave que le meurtre d’un homme. Mais cet argument est erroné : si l’on reconnaît le féminicide, cela veut seulement dire qu’il constitue un type de meurtre à part entière dont la particularité et le caractère systématique est à inscrire dans la loi.
D’autre part, tous les meurtres de femmes ne sont pas des féminicides. Nous parlons ici d’assassinat en raison du genre. Le terme “féminicide” s’applique à des cas très spécifiques et ne sanctionnera pas tous les meurtres de femmes. Si une femme meurt lors d’un braquage, d’un accident de la route, ou d’un règlement de compte, ce n’est pas sa condition de femme qui est visée mais sa condition humaine. Le féminicide ne place donc pas les femmes en victimes des hommes, mais permet de mieux identifier les violences machistes dans notre quotidien.
225 000 femmes déclarent avoir été victimes ou sont victimes de violences de la part de l’homme qui partage leur vie ou l’a partagée au cours de l’année 2017.
On ne parlera alors plus de drame familial, ou de tensions amoureuses qui auraient mal tourné. Le féminicide est un crime qu’il ne convient pas de minimiser ou d’excuser pour telles ou telles raisons. En effet, l’une des premières vertus de la reconnaissance du féminicide dans la loi serait l’identification claire et précise des crimes qui relèvent des violences sexistes. Nommer correctement quelque chose, c’est déjà un grand pas en avant. Il est impossible de lutter contre quelque chose qui n’a pas de nom. Mais si l’on peut désigner un crime comme un féminicide, alors on sera en mesure de prévenir les suivants.
De plus, pour beaucoup il faudrait alors introduire l’équivalent masculin du féminicide. Cela n’a pas lieu d’être, pour le moment, puisqu’on ne peut pas dire que les hommes soient tués en raison de leur condition d’homme. Un homme est tué parce qu’il est un soldat, un policier, un trafiquant, un voleur, mais jamais, ou du moins très rarement parce qu’il est un homme. Les statistiques de l’Observatoire des violences faites aux femmes sont formelles : 96% des personnes condamnées pour violences entre partenaires sont des hommes et 88% des victimes sont des femmes. On peut alors en conclure que les hommes ne sont que très rarement agressés par leur partenaire mais qu’ils sont plus souvent auteurs de l’agression. Pourquoi un tel clivage ? Pourquoi les hommes agressent-ils plus facilement leur conjointe que les femmes ? Un problème d’éducation est sans doute à souligner, mais c’est un autre sujet. La seule variable commune à toutes ces victimes est leurs identité féminine. Les femmes sont battues, violées et tuées parce qu’elles sont des femmes. Le féminicide est donc bien une réalité.
Mais qu’attendent alors les autorités françaises pour retranscrire le terme dans la loi ? L’assassinat de 123 femmes en 2016 par leur partenaire ne suffit-il pas à agir ? La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme affirme que l’introduction du féminicide dans la loi pourrait « porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale puisque le motif concernerait l’identité féminine de la victime ». Au nom de l’égalité, on refuse alors de reconnaître que les femmes sont très souvent victimes de violences parce qu’elles sont femmes. Au nom de l’égalité, la loi cache les chiffres du féminicide.
La France accumule un retard juridique face aux pays d’Amérique latine comme le Mexique, la Bolivie ou encore le Costa Rica qui ont reconnu le féminicide dès 1994. En Europe, sa reconnaissance est très récente et marginale. Bien que le Parlement européen, dans un rapport datant de 2014, ait recommandé la reconnaissance juridique du terme, la France ne semble pas résolue à statuer dans ce sens. Au contraire, certains de nos voisins européens ont suivis les recommandations du Parlement : l’Italie et l’Espagne ont traduit le féminicide dans leur Code pénal en 2013. La Belgique, quant à elle, a fait un premier pas en 2016 en adoptant une résolution condamnant le féminicide.
En 2014 pourtant, la secrétaire d’Etat aux droits de femmes, Pascale Boistard, tweetait :
La violence faite aux femmes est une violence spécifique. Les femmes qui meurent des coups de leur compagnon sont victimes de féminicide.
— Pascale Boistard (@Pascaleboistard) October 23, 2014
On pouvait alors espérer une action du gouvernement. Mais rien n’a changé, et le même schéma se répète aujourd’hui puisque Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat actuelle à l’égalité homme-femme, a déclaré que le meurtre d’Alexia Daval était un « féminicide ». Mais derrière les belles paroles, les actes ne suivent pas et le féminicide est toujours absent du code pénal français. Une avancée est cependant à noter : en janvier 2017 le sexisme était reconnu comme un fait aggravant lors d’une agression ou d’un meurtre. Est-ce enfin un premier pas vers la reconnaissance légale du terme ? Le gouvernement ne semble malheureusement pas prêt à légiférer dans ce sens.
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