Mes potes, mes clopes et moi
Quelle place et quel rôle pour la cigarette chez les jeunes français en 2018 ?
À 20 ans, on est invincible, à 20 ans rien n’est impossible
Lorie, À 20 ans
Lorie avait à l’époque, déjà raison. Passez moi ce sourire narquois visant à discréditer le prestige de mes références. Si la carrière de mon illustre élue est loin d’être mélodiquement irréprochable, impossible de nier que les paroles de la chanteuse, ici, sonnent juste.
Car oui, à l’aube de la vingtaine j’ai le curieux sentiment de pouvoir enfin être libre.
Libre de choisir, choisir mes études, avec plus ou moins de réussite, choisir mes amis, que l’école ne m’impose plus, choisir d’exercer mes passions, comme l’illustre la rédaction de ce présent article. S’il y a bien une question qui me reste encore sans réponse, ce serait celle de la cigarette, seul reflet de mes indécisions. À l’image d’un sportif amateur, je suis comme on pourrait l’appeler un fumeur du dimanche, fumeur du soir, fumeur en soirées, fumeur à la nuit tombée ou encore, un fumeur à mes heures perdues. En clair, mes péripéties clopinesques ne se résument qu’à quelques écarts, propices en période d’euphorie.
Les dangers, je les connais, d’autant plus qu’à titre personnel, ma famille a été touchée par les ravages de la cigarette. Seulement aujourd’hui mes principes d’abstinence dansent sur un fil d’équilibriste. L’addiction, tenue au courant de ma fébrilité et scrutant la première chute, est prête à m’accueillir les bras ouverts.
D’autant que rien n’est moins simple que de ne pas suivre le groupe, une fois intégré à l’atmosphère fumeuse de l’université, paradis des feuilles, royaume des filtres.
Malgré une baisse notable de consommateurs ces dernières années, 16 millions de français fumaient encore en 2016. La dernière enquête réalisée par ESCAPAD en 2017 montrait que plus de 25% des jeunes français de 17 ans consomment quotidiennement du tabac. Ce chiffre passe à 34 % dans le cadre d’une consommation mensuelle et à 59% pour l’expérimentation. De plus, on peut largement penser que ces chiffres augmentent de manière sensible sur un échantillon de jeunes plus âgés.
16 millions de Français fumaient encore en 2016
Consommation du tabac par les jeunes français de 17 ans
Source : ESCAPAD – 2017
Fort de mon objectivité justifiée par ma situation « d’entre deux » j’ai voulu en savoir plus. Qu’en est-il de la clope chez les jeunes aujourd’hui ? En quoi leur est-elle utile ? Facilite-t-elle toujours le lien social ? En leur posant directement la question, j’ai trouvé des éléments de réponse.
Collège-Lycée, la période de l’immense bergerie
Indéniablement, très jeune, dès le collège, fumer était perçu comme cool
Hugo, 19 ans étudiant en Lettres et Sciences Humaines
Pour une grande majorité de jeunes ados, l’entrée au collège coïncide avec celles des premières expériences. Parmi les moyens permettant l’émergence en eux d’une quelconque forme de rébellion, le tabac tire son épingle du jeu.
Toujours selon l’étude ESCAPAD, l’âge moyen de la première cigarette se situe aux alentours de 14 ans et demi correspondant environ aux classes de 3ème et seconde.
« Le collège est particulier. Il faut rappeler que souvent ce n’est pas une période évidente pour tous. Je pense que beaucoup d’adolescents sont avant tout en quête d’affirmation et de confiance en eux. Confiance qu’ils cherchent à puiser à travers la consommation de tabac, symbole d’une cassure entre l’enfant et l’adulte » constate Nicolas aujourd’hui, étudiant en licence d’économie. « Au collège, ceux qui fumaient étaient le plus souvent les gens les plus populaires, à qui tout le monde voulait ressembler en secret. Ce principe a donc été très tôt implanté dans nos consciences et véhiculé ensuite en grandissant en tant qu’ado et jeune adulte » poursuit Hugo.
L’arrivée au lycée y ajoute probablement une couche. Avides de nouvelles rencontres et soumis aux effets de groupe, les fumeurs novices arborent fièrement leur cigarette, preuve de leur appartenance à cette catégorie de personne inconsciemment plus valorisée. D’ailleurs ces nouveaux consommateurs affluent vers la cigarette, non pas pour le principe même de fumer en soi, mais bel et bien pour l’ensemble des avantages qui en découlent indirectement. Juliette aujourd’hui en khâgne, le reconnaît : « J’ai suivi le groupe. Au début c’était juste pour essayer et pour faire un peu la meuf. C’était une question d’intégration à un groupe, essayer de m’intégrer, de me faire des potes. On ne peut pas négliger le fait que la clope permette de rencontrer d’autres gens, de faciliter l’interaction voire d’être la raison même du début d’une discussion : je me suis fais de vrais potes en cherchant filtres et feuilles à droite à gauche durant les pauses. »

Réussir à renoncer à l’appât du tabac et à ses vertus sociales au début du lycée n’est pas toujours une mince affaire. Hugo avoue humblement qu’il ne l’aurait pas réussi seul : « J’ai, tout aussi naïf que cela puisse paraître, fait un pacte avec mon meilleur ami d’enfance. Je ne saurais pas me rappeler d’où et comment nous est venue cette idée, mais cette simple promesse est devenue l’un des symboles de notre amitié, c’est pourquoi nous ne l’avons jamais trahie lui comme moi. Nous voulions garder nos poumons en bonne santé, nos dents blanches, et éviter de tomber malades bien trop jeunes. C’est d’avoir pris cette décision à deux qui m’a permis de ne pas suivre la tendance. Seul, je ne suis pas sûr que j’aurais eu le courage de toujours renoncer. »
Commencer à fumer, c’est choisir la facilité
Nicolas, 19ans
Rares sont ceux qui ne sont pas tentés. La plupart des amis de Pierre, étudiant en école d’ingénieur, ont emprunté le chemin épineux vers la nicotine durant le lycée. Cependant malgré la pression du groupe et diverses fortes tentations, Pierre a su rester fidèle à ses principes et n’a jamais entamé une consommation régulière. À 20 ans, il a transformé ce refus en une force.
« Même si j’ai quand même craqué un certain nombre de fois j’ai toujours été dans cette idée qu’il fallait pas que je ne commence réellement. Ensuite le fait de ne pas fumer ou d’arrêter de fumer ça procure une sensation de « puissance ». C’est à dire que quand je vois mes amis qui ont besoin de fumer, ou quand dans un groupe on est peu à ne pas fumer, je me sens un peu fier. Parce que j’ai su résister à une tentation assez grande et surtout qui encore une fois vient vicieusement. »
« Je crois que la confiance en soi est avant tout une relation d’homme à homme. J’ai confiance en moi par rapport à toi. Le fait de fumer, c’est avant tout le fait de se montrer et de dire à l’autre, regarde, je fume, c’est stylé. Après je pense que ce raisonnement ne tient plus une fois passé l’adolescence où l’affirmation de soi est reine. On est plus mature, on se fiche un peu plus du regard des autres. Moi le premier j’enviais les autres. Lorsque j’ai commencé à fumer un peu au lycée, la clope m’a servi dans mon affirmation, la clope a attiré les regards sur moi. » conclut Nicolas, fumeur éphémère.
La clope, intermédiaire de relation, intermédiaire de séduction
Commencer à fumer de temps à autre, c’est se faciliter le quotidien. Cette affirmation, j’y crois depuis le temps de mes premières sorties. Relativement souvent je constate que la cigarette a ce don de pouvoir réchauffer l’atmosphère d’une soirée mal engagée en brisant l’opacité de la glace entre inconnus. Mieux, elle peut faire office d’invitation mutuelle à la découverte de l’autre. La cigarette vous convie au dialogue, voire à la séduction.
Il est clair que la cigarette aide à tchatcher
Hugo
Hugo, qui n’a jamais touché au tabac de sa vie, reconnaît qu’en soirée son abstinence ne le sert guère.
« Ne pas fumer dans une soirée où la majorité des personnes fument peut être assez handicapant, en particulier si l’on est timide, que l’on a du mal à s’ouvrir vers les autres, que l’on craint leur regard, leur jugement. Parce qu’être la seule personne qui ne fume pas dans un groupe où tout le monde fume vous exclut forcément un peu, même inconsciemment, plus que si vous fumiez avec les autres ; parce que ne pas fumer quand la fille qui vous plaît fume en face de vous peut vous faire perdre vos chances, ne serait-ce que d’entamer une discussion avec elle. La pression sociale est donc extrêmement présente. Et de ce fait, la tentation très forte. »

J’ai toujours pensé que malgré ces méfaits que nous ne présentons plus, la cigarette a le don de pouvoir être un intermédiaire de séduction, l’occasion d’aller retrouver une « target » étrangement seule, ou sinon simplement discuter et faire connaissance. On sort prendre l’air, l’air de rien. On fume une clope et on peut commencer à tchatcher. Après c’est lié au contexte culturel français aussi je pense. Je suis allé plusieurs fois à Berlin, là-bas ce n’est pas du tout pareil par exemple. La cigarette n’a pas cette donnée séductrice et hyper valorisante. Leur approche au tabac est beaucoup plus « saine », chacun a l’air de faire comme il veut et le non-fumeur ne passe pas pour un mec étrange. C’est vrai qu’en France, on a tendance à marginaliser celui qui ne fume pas, même encore aujourd’hui. Après cela dépend bien évidemment du nombre de fumeurs dans un groupe. Si ceux-ci sont minoritaires le rapport de force est changé.
Nicolas
Qu’en est-il du contexte culturel français ? Récemment la Ministre de la Santé Agnès Buzyn a défrayé la chronique en souhaitant mettre en place une loi visant à interdire le tabac dans le cinéma français, au grand dam des acteurs du milieu. La Ministre insistait sur le fait que la prédominance de la cigarette dans les films français inciterait les jeunes français à consommer.
Je pense que sur le fond la ministre avait raison de soulever ce problème. Il suffit de regarder quelques films : jamais la cigarette n’est dévalorisée. Au contraire elle participe relativement souvent à un processus de séduction et d’érotisme. Les acteurs ont la classe en fumant, on ne peut le nier. Jamais ou très rarement la dépendance et les méfaits de la cigarette ne sont montrés. La cigarette sert à la séduction. Regardez Louis Garrel. Le voir déambuler la nuit dans les rues parisiennes, clope au bec et bien habillé ; on ne peut négliger le rôle de la cigarette qui participe à cette mise en avant du charme, de l’élégance et la sensualité à la française.
Anaïs, 18 ans, étudiante en histoire
Il suffit qu’on te demande un feu pour que tu finisses dans un café à discuter avec cette même personne 15mins plus tard
Tom, 18 ans, étudiant en Anglais
L’heure du choix révolue, quel constat de chaque côté ?
Passé 20 ans, souvent les jeux sont faits. Peu de jeunes commencent à fumer tardivement et à l’inverse peu arrêtent précipitamment. Alors une fois les groupes bipolarisés, quels sont les constats de chacun ?
« Fumer coûte cher et de plus en plus, fumer rend malade, dépendant, fumer tue des gens. Fumer par choix devient alors, d’une manière bien plus consciente qu’avant, synonyme que l’on cautionne tous les problèmes et les difficultés que cela engendre. Alors aujourd’hui, ne pas fumer en soirée, c’est « moins mal vu », voire mieux qu’avant. On vous interroge, on vous demande comment vous avez fait pour résister depuis toutes ces années. J’ai entendu il y a peu : « Tu as trop chance. J’aurais préféré faire comme toi, et ne jamais commencer ». Une jolie revanche. » Conclut Hugo, très heureux de sa décision, sa force d’abstinence prenant ainsi le dessus sur ses frustrations nocturnes.
Je pense que comme pour toute autre chose, ce qui est mauvais c’est l’excès. Fumer un peu, de temps en temps, à des occasions particulières, c’est loin d’être un drame et ça doit même pouvoir rester un plaisir, comme on boirait un verre ou un café, autrement destructeurs s’ils sont consommés à haute dose. Parce que c’est l’excès, le quotidien, quand on ne sait même plus pourquoi on fume, c’est ça qui ronge et qui détruit. Il y a peut-être dans la cigarette quelque chose d’apaisant, de tranquillisant, de réconfortant. Je connais des gens qui disent que s’ils n’avaient pas fumé à un moment particulièrement difficile dans leur vie, celui-ci aurait été encore plus dur à affronter. Je ne peux que respecter ça. Mais pour ma part, j’essaye de trouver cette énergie ailleurs que dans un geste qui risquerait à la longue de me faire perdre mes poumons, ma gorge ou ma vie.
Pierre, philosophe d’un soir

« Est ce que je regrette ? Oui un peu, je pense aux conséquences, à la santé, cependant je pense que je ne regrette pas autant que je le regretterais plus tard » constate Juliette, visionnaire pessimiste, avant de poursuivre : « Sinon ce que m’a apporté la clope en bien ? Des petits moments de réconfort, c’est devenu un plaisir de fumer c’est ça le problème aussi sinon j’aurai plus de facilités à arrêter » conclut l’étudiante de khâgne.
D’un côté j’ai plus de mal à courir sur des longues distances et je suis facilement essoufflé. De l’autre j’ai fait connaissance avec beaucoup de monde facilement et rapidement. La cigarette ne m’a pas anéanti, elle m’a juste changé.
Arthur, 19 ans, L1 histoire
Bien que je sois un fumeur très régulier je n’aime pas sentir cette odeur. De plus la clope me coûte cher et c’est une sorte de boulet, je ne maitrise plus ma consommation et il m’arrive même de regretter de fumer juste après avoir fini une cigarette. Un autre point négatif est l’endurance physique, je suis rapidement épuisé quand je fais du sport.
Antoine, 20 ans, licence d’économie
Je ne comprends pas ceux qui disent que la cigarette leur permet d’évoluer. Ca n’a absolument pas impacté ma vie sociale, à vrai dire je ne pense pas qu’il faille réellement ça pour être intégré, la personnalité et le caractère suffisent amplement. La cigarette est juste un moyen pour se sentir appartenir à un groupe ou pour se sentir regardé. Au final celle-ci ne sert pas à grand-chose et elle a une emprise considérable sur ceux qui l’utilisent. Là où se trouvent véritablement la force et le pouvoir c’est lorsque tu as des amis ou des gens de ton entourage fumeurs mais que toi tu ne tombes pas dans ce traquenard et que tu ne le laisses pas te détruire, et c’est ce que j’ai réussi à faire et j’en suis fière.
Oriane, 19 ans, étudiante en économie.
Les chiffres ces dernières années illustrent tout de même une tendance à la baisse.
Selon l’enquête Baromètre Santé 2016, le tabagisme quotidien a diminué chez les hommes de 25 à 34 ans et chez les femmes de 15 à 24 ans entre 2010 et 2016 en France.
Preuve sans doute des effets de hausse du prix des paquets mais aussi de l’efficacité des campagnes de lutte, comme l’affirme Hugo : « Dès les premières classes à l’école primaire, j’ai été sensibilisé sur les risques et les dangers du tabac. Les images de poumons noircis, de dents moisies, de cancer de la gorge, de cadavres à la morgue, ont dès mon plus jeune âge été présentes dans ma conscience. »
Même si la plupart de mes interlocuteurs reconnaissent que la cigarette les a aidés et accompagnés socialement parlant, la grande majorité d’entre eux, fumeurs ou non, estiment que le jeu n’en vaut pas la chandelle. « La clope a toujours eu cette donnée valorisante, mais aujourd’hui c’est vrai que les temps changent un peu » explique Nicolas. Il suffirait donc que le tabac ne soit plus perçu comme cool pour que les gens arrêtent ? « Oui sûrement » reconnaît-il avant de poursuivre : « J’ai plusieurs amis qui commencent déjà à arrêter et finalement cela ne change strictement rien à leurs rapports aux autres, preuve que l’on peut sympathiser très facilement, sans cigarettes… ».
image de couverture : Peter Dazeley