Existe-t-il un parti médiatique ?
C’est l’heure de l’offensive à la France Insoumise. Taïhaut taïhaut ! Sus aux journalistes à la botte du Capital, laquais de Macron Premier ! Malheur à ceux qui ont diligenté l’échec du Petit Père des Insoumis à la Présidentielle. Dans une rhétorique traditionnelle de la contestation, Mélenchon et ses proches n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer un « parti médiatique » qui aurait conspiré pour les empêcher d’accéder à la fonction suprême. Si l’extrême gauche dénonce depuis longtemps, probablement à raison, la concentration des médias et une certaine unité intellectuelle dans la médiasphère française, la dénonciation d’un parti médiatique revêt une radicalité plutôt nouvelle.
Jean-Luc Mélenchon – © Bash pour L’Alter Ego/APJ
Mélenchon emprunte à l’intellectuel socialiste Antonio Gramsci (1891-1937) l’idée d’une hégémonie intellectuelle, qui paralyserait la vie démocratique, en donnant l’illusion d’un débat alors qu’elle servirait l’intérêt des puissants. C’est fort de cette base intellectuelle qu’il a décidé de déclarer la guerre au parti médiatique. Mais contrairement à Gramsci, Mélenchon n’est pas un philosophe motivé par la recherche d’une vérité sur les mécanismes à l’œuvre dans une société. Comme chef d’un parti politique, comme prétendant aux plus hautes fonctions politiques, il a des intérêts extra-philosophiques. Ainsi, se présenter comme la cible d’un système lui permet d’attirer les électeurs qui se sentent en opposition avec les principaux partis, et en rupture avec les gouvernements libéraux ou socio-libéraux depuis la fin des années 1980. Il s’agit pour lui de rebondir après un échec à l’élection présidentielle, ragaillardi cependant par un score inédit de près de 20 %. Jean-Luc Mélenchon n’est pas à la marge du système médiatique. Ses proches, comme lui, sont très régulièrement invités dans les grands rendez-vous télévisuels et radiophoniques. Les débats y sont parfois houleux, et les journalistes souvent hargneux mais ils permettent à la doctrine de la France Insoumise d’être connue des Français. Et elle l’est ! Un candidat victime d’une censure médiatique ne remporte pas près de 20% des suffrages… D’ailleurs, son discours plaît également à un certain nombre de journalistes. En 2012, 19% des journalistes auraient voté Mélenchon selon un sondage d’Harris Interactive réalisé sur un échantillon représentatif. Soit presque le double de son score national (11,1 %). Si les sondages concernant le vote des journalistes en général ne sont pas légion, celui-ci prouve tout de même que le discours mélenchoniste rencontre chez eux un certain écho. Difficile dès lors de se faire passer pour la victime d’un acharnement journalistique…
Ce discours contestataire sur les médias est fréquent à l’extrême gauche, mais aussi à l’extrême droite. L’hebdomadaire Valeurs Actuelles par exemple n’a pas de mots assez durs pour dénoncer la « propagande » des médias. Chez les uns comme chez les autres s’est construit une contre-culture médiatique. Le Média, web-télé très favorable à Mélenchon, en est un bon et récent exemple (1). De façon plus surprenante, le journaliste Brice Couturier, soutien inconditionnel d’Emmanuel Macron, a dénoncé dans plusieurs tribunes le « Parti des Médias » dont il aurait rencontré les meilleurs militants en œuvrant aux Matins de France Culture. Pour lui, « les sujets dont le Parti des médias ne veut pas entendre parler : le déficit budgétaire et l’endettement ». Un positionnement peut-être anecdotique, mais qui n’est pas inintéressant à relever. Chez tous ces acteurs, le terme de « parti » pour évoquer une hégémonie intellectuelle médiatique est problématique car il évoque l’idée d’une convergence intellectuelle si forte qu’elle ferait de l’ensemble des médias une forme de coalition politique. Une telle structure n’existant pas, celui qui parle de « parti des médias » sous-entend qu’elle est cachée ! Même si le terme « parti » est ici employé dans un sens figuré, le contexte favorable au complotisme dans lequel nous vivons devrait calmer certaines ardeurs syntaxiques.
"Lorsqu'un Président est dans l'obligation d'intervenir tous les deux trois jours, c'est qu'il est en situation de faiblesse. Le problème, c'est que @enmarchefr n'a pas d'élu local… c'est une baudruche".
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— Le Média (@LeMediaTV) April 13, 2018
Le refus du mot « parti » ne nous épargne cependant pas une réflexion sur l’homogénéité sociologique et politique des journalistes. Le fait que le journalisme français ne soit pas assez diversifié est un fait irréfutable. Pour Jean-François Kahn, de Marianne, il est évident que les journalistes, dont ceux de son magazine, viennent du même milieu. En 2003, François Ruffin qualifiait quant à lui de « petite bourgeoisie intellectuelle » les journalistes. En 2002, 63 % des journalistes avaient voté à gauche et 6 % au centre ou à droite selon une étude menée par l’Institut SCP auprès d’un panel représentatif d’une grosse centaine de journalistes. En 2012, au Centre de Formation des Journalistes, une des écoles de journalisme françaises où ont étudié de grands noms de la presse comme Laurent Joffrin (directeur de Libération), 100 % des étudiants ont déclaré avoir voté à gauche.
Le souci n’est pas tellement que les journalistes soient positionnés personnellement de tel ou tel côté de l’échiquier politique, mais plutôt que la couverture médiatique se fasse parfois l’écho de ces préférences individuelles, qui apparaissent du coup comme collectives.
En 2005, après le référendum européen auquel les Français répondent « Non » de justesse, Acrimed, le principal observatoire des médias en France, dénonce un « pluralisme anémié » et « une démocratie mutilée ». Pour la plupart des journalistes, le « Oui » était une telle évidence, le rejet de l’Union européenne une telle aberration, que la parole a été très peu donnée aux voix discordantes, alors que le vote a prouvé qu’elles trouvaient un grand écho auprès de la population. Entre le premier janvier et le 31 mars 2005, 71 % des intervenants dans toutes les émissions télévisées confondues étaient favorables au « Oui » au traité constitutionnel européen. Dans les JT, seuls 27 % des intervenants y étaient opposés (2). Et même dans les émissions de débat où la parité était de mise comme sur France 2, « les invités principaux étaient des partisans du « Oui » (Dominique de Villepin, Dominique Strauss-Kahn…), alors que les partisans du « Non » n’arrivaient qu’en toute fin d’émission pour un temps de parole restreint (Philippe de Villiers, Jean-Pierre Chevènement…) », notait la journaliste Perrine Dutreil.
Aussi certainement qu’il n’existe aucun parti médiatique, il n’y aucun doute quant à l’existence d’une certaine homogénéité intellectuelle dans le milieu du journalisme. Les solutions pour garantir une meilleure diversité sont multiples, de la révision des conditions d’accès aux écoles de journalisme à un débat franc sur l’extension de la loi du marché dans le domaine médiatique. Peut-on être subordonné à des obligations commerciales et rester un bon journaliste ? C’est une question centrale que pose l’apparition de médias tels Konbini dont la ligne éditoriale est guidée par les tendances algorithmiques de Google (3). Au-delà des positionnements politiques, c’est la question de la qualité des journalistes, de leur déontologie, qui doit être frontalement posée.
(2) http://www.acrimed.org/-Referendum-de-2005-
(3) http://www.liberation.fr/futurs/2017/08/01/konbini-melty-plongee-dans-les-usines-a-clics_1587376
image de couverture : libre de droits