La Catalogne indépendantiste, vraiment ?
Un des principaux arguments des indépendantistes catalans est historique. Selon ceux-ci, les visées indépendantistes catalanes ne seraient pas nouvelles. Une étude du sujet par le prisme de l’Histoire remet pourtant en cause cette vision. Explications.

Le dernier trimestre médiatique 2017 fut marqué par le feuilleton catalan. Entre des indépendantistes qui monopolisent la rue, un pouvoir central qui peine à répondre autrement que par la force et une fin surprenante, tout était réuni pour passionner les foules. Cinq mois après la tenue du référendum du 1-O comme les médias espagnols aiment l’appeler, une analyse de ces évènements est désormais possible. Plus qu’un retour sur ceux-ci – que nous aurions d’ailleurs pu titrer « analyse d’un échec » – nous préférons prendre encore plus de recul et considérer les évènements comme ce qu’ils sont : une page parmi d’autres de l’histoire catalane. Or, un argument semble être sérieusement remis en cause. Non, nous ne parlerons pas ici des aspects économiques (1). Mais bien de l’autre grand argument des indépendantistes : celui de l’Histoire.
La Catalogne cultive ses différences
Les indépendantistes ont tendance à confondre les termes. L’autonomisme n’est pas l’indépendantisme ; la nation n’est pas l’État. La nation catalane dispose en effet d’une réelle existence historique. Elle naît concrètement avec la Marche d’Espagne. En 801, Barcelone est reprise aux musulmans, marquant là le début symbolique de la Reconquista du pays par les chrétiens. Le territoire repris par cette Marche ressemble plus ou moins à la Catalogne actuelle. Au XVème siècle, alors que la Reconquista est sur le point de se conclure, la couronne d’Aragon rassemble plusieurs principautés dont le comté de Barcelone. Le mariage de Ferdinand d’Aragon (roi d’Aragon donc) et d’Isabelle de Castille (reine de Castille, soit le reste de la péninsule ibérique, Portugal excepté) en 1469 permet d’unir un territoire similaire à celui de l’actuelle Espagne sous la même autorité. Toutefois, la Catalogne cultive ses différences. L’historien moderniste Alain Hugon le rappelle lors d’une intervention dans une conférence récemment organisée sur le sujet (2) : « La Catalogne connaît alors une santé économique différente du reste de l’Espagne. Les paysans catalans connaissent plus de libertés et donc plus de prospérité ». De plus, il note que « ces territoires de la couronne d’Aragon sont régis par des lois particulières. Philippe II d’Espagne laisse d’ailleurs le parlement de Catalogne écrire leurs coutumes ».
1640 : début de la nation catalane
En 1640, un évènement marque le début de cette nation : la révolution catalane (3). Le 7 juin, une insurrection populaire aboutit à l’assassinat du vice-roi installé à Barcelone. 12 ans plus tard, les Français interviennent à la demande des Castillans. Ils répriment le mouvement et sonnent le début de l’antipathie entre Catalans et Castillans. En 1714, l’histoire se répète et la Catalogne est à nouveau réprimée par la Castille lors de la guerre de Succession d’Espagne. Elle se construit alors par opposition au pouvoir central, mais la région reste avant tout espagnole. Lorsque Louis Napoléon Bonaparte lance sa campagne d’Espagne (1808-1814), la Catalogne combat aux côtés de l’Espagne.
La naissance de « l’identité catalane » à la fin du XIXème siècle est surtout due aux élites. Celles-ci profitent de la faiblesse du pouvoir central : guerres civiles, coups d’États et successions de régimes. Les élites « prétendent alors que pour avoir un avenir, l’Espagne doit reconnaître des nations » note le contemporanéiste Jean-Louis Lenhof dans la même conférence (4). Pour le maître de conférence caennais, ce mouvement considère que l’Espagne « doit se structurer sur une base non pas centraliste mais sur une confédération d’États autonomes » ; chose faite en 1914. L’autonomie oui, l’indépendantisme non.
Un changement de paradigme en 2005
Au début du XXème siècle, le mouvement régionaliste devient pour la première fois nationaliste. Face à l’incapacité de l’État espagnol d’assurer le développement industriel, la Catalogne souhaite se prendre en main. Néanmoins, ce mouvement reste autonomiste et non indépendantiste. Ces velléités de liberté, la Catalogne ne les exprime que lorsque le moment est propice. Lorsque l’État est fort comme sous Francisco Franco (1939-1975), les mouvements contestataires restent silencieux ou peu audibles. Après la mort de Franco, la région devient la Generalidad de Cataluña (Généralité de Catalogne, symbolisant la nouvelle autonomie accordée à la région). Le mouvement catalaniste se limite désormais aux calculs politiques. Il apporte au PSOE (5) en 1992 et au PP (6) en 1996 une majorité au Parlement. En retour, il bénéficie d’avantages comme la mise en place d’une police catalane. Mais cela s’arrête là.
Un changement de paradigme s’opère en 2005. Professeur d’histoire à l’Université de Lille 3, Stéphane Michonneau note que « le pouvoir catalaniste souhaite un nouveau statut pour la Catalogne » (7). Le préambule de la Constitution – sans valeur juridique – inscrit de fait que « la Catalogne est une nation ». Le Conseil Constitutionnel casse ce statut l’année suivante. Cette décision est très mal vécue dans la Généralité. Michonneau poursuit : « Les catalanistes en tirent une conclusion : ils ne peuvent pas négocier avec l’État espagnol et la seule voie possible est la sortie de l’Espagne ». Oscillant entre 10% à 15% en 2005, le mouvement indépendantiste passe à 46-48% en 2008. Le créneau devient porteur. Des partis autonomistes comme Convergencia y Unión deviennent indépendantistes. L’enchaînement des mauvaises décisions de Mariano Rajoy permet ensuite au mouvement de gagner du crédit et de devenir majoritaire jusqu’à ce fameux référendum du 1-O.
Plus autonomiste qu’indépendantiste
Plus autonomiste qu’indépendantiste, la Catalogne se considère historiquement comme une nation à part entière au sein de l’État espagnol. Mais la revendication de cette identité cache un besoin de rester au sein de l’Espagne. Celui-ci lui apporte en effet une stabilité, une puissance, une voix qu’elle n’aurait pas indépendante. La Catalogne a plus intérêt à se gérer de façon plus ou moins autonome au sein de l’ensemble espagnol qu’à n’être réduit qu’à un État de faible importance au sein d’une géopolitique européenne concurrentielle. Difficile encore de savoir si les récentes aspirations indépendantistes sont une menace envers Madrid afin d’accéder à plus d’autonomie ou un véritable désir d’émancipation. Le comportement de Mariano Rajoy donne cependant du crédit à la cause catalane, qui réussit à se faire entendre au sein de l’opinion publique européenne. Mais six mois après le référendum, les avancées restent faibles et Madrid semble garder la main. La solution à la crise catalane réside alors sûrement dans un nouveau compromis entre aspirations autonomistes voire indépendantistes et rigidité du pouvoir central.
(1) Contrairement au discours des indépendantistes, la communauté de Madrid est désormais la région la plus riche d’Espagne aussi bien en termes de PIB que de PIB par habitant.
(2) « La Catalogne entre deux révoltes face aux Habsbourg et aux Bourbons (XVIème-XVIIIème siècles) : naissance d’une identité ? », intervention prononcée lors d’une conférence organisée le 12 mars dernier à Caen : « La question catalane en Espagne (XVIème-XXIème siècles) ».
(3) Aussi appelée selon les historiens rébellion ou sécession catalane.
(4) « La Catalogne à l’épreuve des tensions de l’Espagne du premier XIXème siècle (1808-1875) », même conférence.
(5) Partido Socialista Obredo Español, Parti socialiste ouvrier espagnol
(6) Partido Popular, équivalent des Républicains outre-Pyrénées
(7) « La construction de l’autonomie politique de la Catalogne de 1931 à nos jours », même conférence.
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