Parcoursup, une sélection plus égalitaire ?
Plongés en plein brouillard, les élèves découvrent depuis le 15 janvier la nouvelle réforme de l’admission dans l’enseignement supérieur du gouvernement. APB est mort ! Vive Parcoursup ?

De 28 à 10 vœux, la plateforme se veut plus efficace. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education Nationale, souhaite un système plus humain, plus personnalisé. Il a choisi pour cela un algorithme sans classement des vœux avec lequel les élèves seront évalués selon des compétences pour limiter l’impact des notes sur le dossier.
Ce sont donc les professeurs principaux qui, en duo pour plus de suivi et d’objectivité, sont chargés d’évaluer les élèves afin de permettre aux formations sélectives de mieux cibler les profils et éviter ainsi les erreurs de parcours. La réforme consiste donc principalement en la mise en place de l’évaluation des compétences et de la rédaction d’une lettre de motivation et d’un CV.
D’après la note officielle remise aux professeurs, il est demandé aux élèves de mettre en avant leurs « participations aux instances du lycée, actions bénévoles ou volontaires, stages en entreprises ». En d’autres termes, Parcoursup demande aux élèves de valoriser, notamment, leurs expériences acquises en dehors du système éducatif. Or voilà le premier problème : si l’école de la République est, en théorie, égalitaire, le temps extra-scolaire est lui incontestablement le fruit de facteurs socio-économiques différents selon chaque élève. Je m’explique : chaque élève est influencé différemment par sa famille en fonction du niveau de vie et du niveau de diplôme de ses parents. Pour Pierre Bourdieu, sociologue français reconnu, chaque enfant dispose d’un capital culturel et social différent. Or plus les revenus des parents et le niveau de diplôme sont élevés, plus l’enfant possède de capital culturel et social. C’est l’importance de ces mêmes capitaux qui déterminera en grande partie si l’enfant aura réalisé des voyages linguistiques inoubliables, des visites culturelles enrichissantes ou des stages en entreprise curieusement obtenus par une quelconque relation. Autant d’expériences qui lui permettront de se démarquer par rapport aux autres candidats. L’enfant de cadres et de professions intellectuelles supérieures est donc favorisé par ce système de CV/lettre de motivation par rapport aux élèves issus des classes populaires qui n’auront pas eu la chance de vivre ces expériences. Les dés sont donc pipés, et la réussite des enfants de cadres dans le supérieur par rapport à celle des enfants des classes populaires ne semble plus être due au mérite.

La nouvelle plateforme prévoit aussi l’évaluation de quatre compétences par les deux professeurs principaux. Sont donc notés : la méthode de travail, l’autonomie, la capacité à s’investir dans son travail, l’esprit d’initiative et l’engagement. Vient ainsi ma deuxième inquiétude.
Dans un premier temps les critères eux-mêmes sont peu détaillés : l’autonomie est par définition difficile à évaluer puisque si l’élève travaille en autonomie chez lui mais qu’il peine à le traduire par des notes correctes, cela sera alors invisibilisé. L’esprit d’initiative n’est guère plus précis : est-ce les propositions faites en cours ou bien l’investissement personnel dans un travail non obligatoire ? L’Education nationale reste très vague sur ce sujet. La dernière compétence est la plus problématique. Revoici le problème de l’engagement, que je pointais déjà au début de cet article. Non seulement l’enfant des classes populaires a moins de chances de vivre des expériences qu’il pourrait valoriser sur un CV mais il a aussi moins de chances d’être engagé dans une association, chose qui est pourtant gratuite. On pourrait donc croire que ce critère permet d’effacer l’influence du revenu dans la sélection et ne récompensera que les élèves les plus méritants. Certains diront que si un élève ne s’investit pas, c’est qu’il est moins persévérant, travailleur, d’autres mettront en avant le cadre familial de l’élève, qui influence grandement les chances d’un enfant d’entrer dans une association. En effet, selon le rapport annuel de 2015 de l’Observatoire des inégalités, un cadre sur deux adhère à une association mais seulement un ouvrier sur quatre.
Outre le niveau de revenu, comme le souligne une enquête de l’INSEE datant de 2013, c’est le niveau de diplôme qui constitue un facteur aggravant de discrimination dans l’engagement associatif, ainsi 45 % des diplômés du supérieur adhèrent à une association et seulement 18 % des personnes sans diplôme (autre que le bac). On remarque une forte similitude entre les chiffres de l’engagement en fonction du revenu et ceux en fonction du niveau de diplôme, c’est simplement parce que l’un entraîne souvent l’autre, et vice versa. S’engager est donc plus légitimé par les parents cadres diplômés du supérieur. C’est à dire que ces parents pousseront leurs enfants à rentrer dans la Maison de Lycéen ou à être scout parce qu’ils en ont eux-même fait, ou en font toujours, l’expérience. Plus encore, il se produit aussi un phénomène d’imitation. Rien n’est plus normal que de chercher à imiter Papa ou Maman. Les enfants qui voient leurs parents engagés s’engageront plus naturellement à leur tour.
De surcroît, l’engagement a un genre : il est plus fort chez les hommes que chez les femmes, et a une localisation précise puisqu’il est plus important dans les villes de taille moyenne que dans les grandes agglomérations ou les villes rurales. Le fils d’un père cadre diplômé habitant une ville moyenne a donc plus de chance de répondre aux critères de sélections de Parcoursup pour entrer dans les filières sélectives, et donc de devenir cadre à son tour, que la fille d’une ouvrière dans un milieu rural. La reproduction sociale est à son paroxysme comme une course où les enfants des anciens vainqueurs seraient assurés de gagner à leur tour, et cela avec la bénédiction du gouvernement Philippe.
Dans un second temps, les évaluateurs eux-mêmes sont sujets à diverses interrogations. Si au départ, le double avis semble plus juste et permet d’éviter qu’un seul professeur ne détermine l’avenir d’un élève, on peut déplorer, de fait, que le second professeur principal soit choisi totalement au hasard sans connaissance aucune du lycéen. Il ne pourra alors se fier qu’aux notes ou à l’avis du professeur principal d’origine pour juger un étudiant. D’autre part, dans des classes surchargées, qui dépassent souvent 35 élèves, un suivi personnel réel semble utopique. On peut s’inquiéter d’un travail express au détriment d’un accompagnement progressif. Les heures supplémentaires seront alors obligatoires pour un travail correct, c’est un problème quand l’on sait que l’Education nationale cherche à réduire ses coûts.
Pour le secrétaire général du syndicat Snesup-FSU, Hervé Christofol, ce qu’il fallait changer avant tout, ce n’était pas la plateforme mais le nombre de places à l’Université. Avec une constante augmentation des étudiants dans le supérieur, sélectionner les élèves ne sera pas suffisant, et il est nécessaire d’investir dans la jeunesse : cela passe par la création de nouvelles places (20 000 minimum pour Hervé Christofol) dans les filières en tension. Cependant le gouvernement promet la création de 22 000 nouvelles places.
Lycéen en Terminale ES, on m’a moi-même présenté la nouvelle plateforme. Mon second professeur principal n’est autre qu’une professeure d’EPS qui ne connaît pas du tout ma classe. Si j’ai d’abord pensé qu’un avis extérieur, plus objectif ne pourrait être que bénéfique, j’ai vite réalisé qu’il n’y aurait inévitablement que peu de temps pour que les deux professeurs me conseillent : en effet, une heure seulement sera consacrée à l’orientation de 35 élèves. Mais c’est à l’écoute des critères de sélection que j’ai le plus réagi : performance scolaire, capacité d’analyse et de rédaction, engagement citoyen, traitement des informations. Mon professeur ne faisait que répéter les consignes qu’il avait reçues lors de sa demi-journée de formation. Il nous a expliqué que le souhait de l’Education nationale est d’en finir avec les erreurs de parcours qui coûtent trop cher. Or cela revient à gérer l’éducation comme une entreprise, où l’erreur de parcours ne permet pas de mieux définir son projet professionnel mais, est, au contraire, considérée comme un coût.
On ne pourra pas reprocher aux critères de répondre aux besoins concrets de la société. Loin de la liberté à tous de choisir sa formation supérieure et d’accéder à l’Université, Parcoursup sélectionne, dans une logique pragmatique, pour éviter toutes erreurs de parcours qui coûtent cher à l’Etat. On sait en effet que le taux d’échec à l’Université dépasse les 46 % pour les bacs généraux et 56 % pour les bacs pros. Certes le gouvernement se doit de trouver une solution aux plus de 80 000 élèves sans formation, mais cela justifie-t-il des critères qui discriminent les plus défavorisés ? Jean-Michel Blanquer se défend : pour lui, la nouvelle plateforme individualise au contraire les réponses et cherche à intégrer tous les profils grâce à des fiches avenirs -des cases de compétences à l’appréciation des professeurs- plus complètes et adaptées aux besoins de l’élève. Et si, lycéen, tu n’as pas eu la chance de partir un an à l’étranger ou tes parents ne t’ont pas poussé à t’engager au sein de la Maison Des Lycéens de ton établissement, ne désespère pas, le gouvernement a promis de proposer une formation à tous d’ici le 21 septembre, même si elle ne correspond pas à ton envie première de domaine d’études. Alors Macron Président des riches ? Chacun se fera son idée, mais, à la lumière des données présentées ci-dessus, il n’est pas celui de l’égalité face aux études supérieures.