Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat…
Donnez un bon jouet à un enfant, il va grandir. Donnez-lui les réseaux sociaux il va le subir, pour le bien comme pour le pire.

Les enfants nés en 2004 n’ont jamais connu de monde sans réseaux sociaux. Ils ont aujourd’hui 13 ans, ils sont en 5ème ou 4ème (première année de CAP pour certains). Ces enfants-là se sont peut-être retrouvés à 6 mois sur la photo de profil de leurs parents et puis, au fur et à mesure, ont pris le relais de leurs géniteurs. Cette passation technologique n’est ni une surprise ni une nouveauté. La culture d’Internet, de la télévision, du cinéma, de la radio, et de la presse avait auparavant produit des effets similaires. La différence étant que les réseaux sociaux rendent l’utilisateur acteur. Ils associent à la fois des enjeux médiatiques et informatifs mais aussi un enjeu utilitaire :
J’ai besoin de Facebook pour connaître l’actualité
Autrement dit, aujourd’hui, Facebook est un outil de travail pour les étudiants, pour de nombreuses associations et marques en tant qu’outil de communication. Cependant, cette tendance à la consommation utilitaire des réseaux sociaux est sortie de son lit habituel pour s’installer à la fois sur Facebook, Twitter, Instagram et Snapchat pour ne citer qu’eux. C’est d’ailleurs l’émergence des réseaux sociaux qui a provoqué l’essor du métier de Community Manager*. En plus de ces derniers, les réseaux sociaux ont permis l’émergence de personnalités, qui font de leur notoriété numérique un métier. On observe cela notamment à travers la publicité (ou placement de produit), dont on reparlera plus bas. Les réseaux sociaux sont à la fois des espaces de loisir, d’information et de travail. Ce sont donc des espaces complexes où chaque compte trouve son utilité, à l’image de ceux qui se créent plusieurs comptes Facebook. Un compte « sérieux » sur lequel notre prochain patron pourra observer sagesse et abnégation et un compte plus délirant où se retrouveront des photos plus “compromettantes”.
Il faut voir les réseaux sociaux comme de véritables endroits numériques, des agoras assez anarchiques où la hiérarchie des choses est différente de celle de la réalité
Exemple anecdotique mais qui illustre mon propos, les films de Kev’ Adams sont très critiqués sur les réseaux sociaux alors que ce sont les films qui attirent le plus de monde au cinéma (Les Nouvelles Aventures d’Aladin, film français le plus vu en 2015). De même, l’UPR et la France Insoumise sont sur-représentés dans les commentaires des réseaux sociaux par rapport aux résultats électoraux. Les réseaux sociaux profitent donc de l’impunité que leur livre la technologie pour renverser des hiérarchies du réel. La conscience que le monde numérique est artificiel permet à la grande majorité des utilisateurs de se prémunir contre risques éventuels.
Même si les enfants et les adultes avaient le même fil d’actualité, la perception serait différente selon celui qui l’utilise.
Une conscience solide s’acquiert par l’apprentissage. Par définition, un enfant ne peut pas avoir une conscience suffisante pour maîtriser les enjeux des réseaux sociaux décrits plus tôt. Ainsi, la perception d’un même réseau est différente d’un âge à un autre. Dans cette optique, j’invite tous ceux qui lisent cet article à s’intéresser au fil d’actualité des réseaux sociaux d’un enfant de 8 ans. Il n’a nul lien avec le vôtre ou celui de ses parents. Pourtant, on a tous l’impression de partager un même réseau. Un réseau social correspond à de multiples espaces communiquant plus ou moins entre eux. L’espace des enfants n’est pas le nôtre, heureusement. Même si les enfants et les adultes avaient le même fil d’actualité, la perception serait différente selon celui qui l’utilise.
Ce qui est pour nous une publicité évidente pour une agence de voyages sur Instagram est un beau paysage pour un enfant. Une photo d’un modèle photo amateur qui est prise dans un cadre spécifique mettant en valeur le modèle pour nous, c’est une photo prise à l’improviste pour un enfant. Et ainsi de suite, le filtre dans la tête des collégiens d’aujourd’hui devient un filtre déformant.
Entrent en jeu d’autres acteurs : les influenceurs. Ce sont des personnalités parfois reconnues pour leur travail sur une autre plateforme ou des personnes lambda. Les influenceurs donnent leur avis et sont contactés par des marques pour promouvoir un de leurs produits en s’affichant avec. Seulement la publicité est souvent masquée. De plus, la quantité d’influenceurs ainsi que la masse d’interactions qui les entoure les font apparaître sur quasiment tous les fils d’actualité décrivant une fausse réalité façonnée par les marques à laquelle les enfants adhèrent. Ainsi des chaînes Youtube, des comptes Twitter et Instagram sont exclusivement réservés à de la présentation (= publicité déguisée) de jouets ou de bonbons.
Les réseaux sociaux permettent la création d’un esprit de corps au sein d’une génération.
Bien sûr, il n’y a pas que du mauvais dans la prise en main des réseaux sociaux par des pré-ados. Elle permet la douce prise de conscience de ce qu’est une identité numérique, de la possibilité des interactions qui existent (un monde existe en dehors du collège). C’est aussi une source infinie d’informations pour l’apprentissage des cultures et des langues étrangères. Par ailleurs, les réseaux sociaux permettent la création d’un esprit de corps au sein d’une génération. Les mêmes codes et symboles singuliers à chaque tranche d’âge, avec des posts qui ne se partage qu’entre groupes d’amis proches. Par exemple, une publication traitant du passage du bac sera massivement partagée par des Terminales. De cette manière des groupes d’âges particulier s’approprient des repères humoristiques.
Néanmoins, l’appropriation d’outils sociaux complexes par les pré-ados pose de nombreux problèmes pour eux-mêmes. Il ne s’agit pas de voir dans les nouveaux utilisateurs du net des amateurs complets qui ignorent les dangers qui les entourent. Les sensibilisations au sein de l’école primaire et du collège portent leurs fruits, un minimum. Les risques qu’il est important d’analyser ne sont pas les classiques : virus, arnaques et pédophilie. Des problèmes de taille mais qui sont connus des utilisateurs, et qui nécessiteraient un autre article. Les risques auxquels sont exposés les jeunes sont souvent plus pernicieux.
Tout d’abord, le culte de la beauté et son lien avec Instagram. En effet, le réseau social de partage de photos ressemble souvent à une succession et à une mise en scène du « beau ». Que ce soit la beauté des paysages, des corps ou des repas de certains, Instagram met en avant des vies exemplaires. Un rapport de la Royal Society for Public Health (RSPH) intitulé Status Of Mind montre que Instagram et Snapchat sont les réseaux les plus nocifs pour le bien-être et la santé mentale de leurs utilisateurs (selon le retour d’un panel de personnes de 14 à 24 ans). Le jeune public est le plus touché par les influences notamment alimentaires. D’où le développement d’une certaine psychose autour de la nourriture dès le plus jeune âge. Le nombre de jeunes considérés comme maigres est passé de 8 % à 13 % entre 2006 et 2015, selon une étude publiée en Juin 2017 par le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de l’agence de santé publique France. Cette hausse touchant particulièrement les filles de 11 à 14 ans. On parle bien ici de maigreur et non d’anorexie, maladie mentale qui selon les études actuelles ne serait pas particulièrement déclenchée par la culture mais par d’autres facteurs (antécédents de maladies mentales dans la famille, problème cérébral du système de récompense…).
Aujourd’hui, l’effet de mode est de devenir soi-même producteur de contenu.
A côté de ce culte de la beauté qui frappe très tôt les jeunes filles et garçons (à travers la musculation notamment), il existe un autre culte, celui de la consommation. Mais surtout de la consommation uniformisée, celle des Stan Smith et du Starbucks. Les effets de mode existent depuis longtemps, mais ces effets de modes chez les plus jeunes passaient auparavant par le bouche à oreille et la publicité télévisuelle. Les réseaux sociaux permettent une augmentation de la fréquence et de l’importance des effets de modes. Exemple simple : le “hand-spinner”. En effet, c’est uniquement par l’action de vidéos YouTube (comme Dr. Nozman en France) qu’un tel phénomène a pu avoir effet. De même, pour Pokémon Go, et les dizaines de « challenges » que l’on peut retrouver. Aujourd’hui l’effet de mode est de devenir soi-même producteur de contenu. Le nombre de chaînes YouTube tenues par des enfants a explosé en 2016 alors même que la réglementation impose un âge minimum de 13 ans. Que retrouve-t-on sur ces chaînes d’enfants ? Souvent les mêmes challenges, vlogs et dégustations que sur les chaînes populaires. Il y a du bon comme du mauvais là-dedans, mais en tout cas ces exemples indiquent un ancrage dès le plus jeune âge dans culte de la consommation et des effets de mode.

Calyss, 9 ans, aînée de sa famille et principale objet de la chaîne “Studio Bubble Tea” dit :
J’aime bien parce que c’est une chance pour nous d’avoir beaucoup de monde, y’en a qui n’ont que 10.000 vues *rire*.
Se pose aussi le problème de la mise en scène de la réalité, qui n’est en soi pas un problème, mais qui affiche à quel point nous vivons dans une société de l’apparence. Comme chaque photo/post montre à quel point une vie peut être magnifique, on crée de l’envie. Or chaque personne n’a pas la capacité d’accomplir ses envies, on produit alors des individus qui se créent une identité numérique à part entière. Une identité numérique qui a besoin d’être alimentée par de l’attention. Conscients du peu d’intérêt que porte la notoriété sur les réseaux sociaux, les adultes ont la capacité de prendre du recul. Pas les enfants. On voit donc des scènes où dès la primaire des enfants créent des chaînes YouTube dans le but d’avoir un maximum d’abonnés. Ceux-ci travestissent leurs vies (fausses caméras cachées, fausses anecdotes racoleuses) et finalement vivent à travers l’écran. Dans un reportage de 66 minutes sur M6 sur ce phénomène d’infantilisation de YouTube, on entend Calyss, 9 ans, aînée de sa famille et principale objet de la chaîne “Studio Bubble Tea” dire : « J’aime bien parce que c’est une chance pour nous d’avoir beaucoup de monde, y’en a qui ont que 10.000 vues *rire*».
On expose de jeunes enfants à la cruauté de la notoriété, celle qui rend dépendant un humain de ses fans, celle qui permet de se faire insulter par d’autres.
On en vient un autre problème, celui de la notoriété. A la fois accessible et mystifiée. Le culte de la notoriété n’est pas neuf mais son avantage était que la probabilité de devenir connu avait un lien avec le talent ou le travail de l’artiste. La notoriété était aussi conditionnée à être réservé aux adultes, à part quelques exceptions comme Jordy qui attaqua finalement son père en justice. Aujourd’hui, pour obtenir une notoriété numérique il n’y a non seulement plus de limite dans le contenu proposé (cf. Kim Kardashian) ni dans l’âge (cf. Néo, de la chaîne NéoTheVoice). On peut à la fois être jeune, proposer un contenu vide de sens et être connu, du moins dans les apparences. On expose donc de jeunes enfants à la cruauté de la notoriété, celle qui rend dépendante un humain de ses fans, celle qui permet de se faire insulter par d’autres. De plus, l’anonymat permet le harcèlement moral sans que la notoriété soit importante pour autant. A titre d’anecdote, dans le cadre de mon travail d’animateur, j’ai pu croiser des enfants qui tenaient des chaînes Youtube quasi-inconnues et qui pourtant se faisaient insulter sur internet par des personnes de leur école primaire. Tout cela dans l’ignorance totale des parents de l’insultant et de ceux de l’insulté.
Internet provoque une persistance des informations sur les réseaux sociaux. Sans la connaissance du droit à l’oubli et de la postérité des données, il semble dangereux de laisser des enfants sur les réseaux sociaux. Ainsi les photos postées par les enfants d’aujourd’hui vont poser des questions quand ces mêmes enfants seront devenus adultes. Néanmoins, ce souci du droit à l’oubli est relativement négligeable à partir du moment où ces jeunes utilisateurs en prennent conscience par la suite. Grâce à la réglementation européenne, il est aujourd’hui possible de réguler, en partie, les données publiques nous concernant sur internet.
Enfin, il s’agit aussi d’aborder des problèmes qui concernent les enfants à plus court terme. D’abord celui de la reproduction de scènes dangereuses. Comme l’on a vu, les jeunes “Instagrammeurs” ou “Youtubeurs” ont tendance à suivre les modes pour obtenir de la notoriété. Sauf que parfois les modes sont néfastes voire très dangereuses. A l’image du “Hot Water Challenge” (qui consiste à se renverser de l’eau bouillante sur le corps) qui reste anecdotique. Mais d’autres modes ont provoqué des décès notamment d’ados, comme l’”Urbex”. “Urbex” ou “Exploration Urbaine” est un loisir mélangeant agilité, connaissance des territoires urbains et prudence qui consiste à découvrir des espaces urbains abandonnés. Or, on observe régulièrement des décès lors de ces explorations amatrices. Souvent ce sont de jeunes gens, impressionnés par la discipline, qui sans préparation se mettent à faire de l’Urbex par eux-mêmes. Dans le même registre les fausses caméras cachées mettant en scène des vols, agressions et décès sont reproduites par des enfants, sans réel danger physique, la question d’un danger moral se pose. Je vous laisse taper sur YouTube « Prank : Je fais croire à ma mère que je suis mort » ; vidéos très gênantes s’il en est.
Dans le genre particulièrement gênant les problèmes d’hypersexualisation et avec de pédocriminalité. Deux phénomènes sont à distinguer. D’abord, l’hypersexualisation de certains enfants à travers les réseaux sociaux (notamment Snapchat et le principe des nudes). Et si vous vous posez la question, oui des enfants de 10 ans utilisent Snapchat régulièrement. Cette hypersexualisation est servie par les chaînes « beauté » qui ont un intérêt pour un public bien spécifique (en général des filles de 15-25 ans) mais qui sont un danger pour nos plus jeunes. Il est aujourd’hui possible de trouver des centaines de vidéos où l’on voit des petites filles apprendre à d’autres petites filles comment se maquiller. Ce n’est pas un mal en soi, mais la question se pose, pourquoi les petites filles veulent se maquiller ? Pour faire comme Maman ? Peut-être, pour se sentir belle ? Très probablement. Je pense qu’il existe un problème dans le fait que des petites filles souhaitent se maquiller dès 8 ans pour se sentir belles, mais je suis peut-être un peu réac’ pour le coup.
Se pose en même temps le problème de l’usurpation d’identité, qui en ce moment, permet sur Instagram des arnaques très lucratives à grande échelle et visant particulièrement les plus jeunes.
Le second phénomène est celui de l’influence des « Gros youtubeurs » qui directement comme Austin Jones arrêté pour détention de contenu pédopornographique (cas anecdotique) de ses jeunes abonnés. De plus, il existe aussi des pédophiles ou des arnaqueurs se faisant passer pour des Youtubeurs connus et exigent tel ou tel photos/SMS contre un cadeau ou une rencontre avec leurs stars. Se pose en même temps le problème de l’usurpation d’identité, qui en ce moment, permet sur Instagram des arnaques très lucratives à grande échelle et visant particulièrement les plus jeunes. Ces arnaques se font de manière différente. Par usurpation d’identité (faux comptes de Squeezie qui demande qu’on lui envoie des SMS surtaxés contre un Ipad). Par des faux jeux concours ou plus insidieusement à l’image de la chaîne Sweet Ness (300.000 abonnés) qui, prétendant faire partager ses applications préférées y a caché une application qui fait intervenir des SMS surtaxés (3 euros le SMS). C’est un placement de produit non mentionné, une arnaque. Les commentaires sont sans équivoque, des dizaines d’enfants se plaignant d’avoir payé un jeu montré par leur Youtubeuse comme gratuit.
Il est de la responsabilité des parents de comprendre à quoi ressemble l’identité numérique de leurs enfants et surtout de maîtriser le contenu disponible
La prise en main d’outils sociaux complexes par les plus jeunes est, je pense, inévitable dans le mesure où les réseaux sociaux sont devenus des éléments conséquents de la vie des “millenials”. L’identité numérique est un nouveau pli de l’identité. Néanmoins, le constat qui peut être fait est que les plus jeunes utilisateurs sont vulnérables et les risques qu’ils prennent sont avérés. Il est de la responsabilité des parents de comprendre à quoi ressemble l’identité numérique de leurs enfants et surtout de maîtriser le contenu disponible. De même, les réseaux sociaux doivent être plus rigoureux sur leurs manières de gérer les comptes. Il existe des limites d’âges, faisons-les respecter.
* Individu en charge du développement et de la gestion de la présence d’une marque ou organisation sur les réseaux sociaux
Sources et liens utiles :
Article Influenceurs
Article sur la maigreur reprenant le Bulletin Epistémologique Hebdomadaire
#LMPC3 – INSTAGRAM : Arnaque et culte du corps parfait
#LMPC2 – Les dangers d’internet chez les jeunes
Reportage 66 Minutes : Les enfants objets du 18 septembre 2016
Image de couverture : © ZHANG PENG/GETTY IMAGES