« Mutti »
Le 24 septembre dernier, le parti de la CDU (Union Chrétienne-Démocrate) remportait avec une majorité presque absolue les élections en Allemagne. La présidente de ce dernier, j’ai nommé Angela Merkel, brigue donc son quatrième mandat de Chancelière. Celle qui a déjà vu se succéder quatre présidents français et trois américains est aujourd’hui la dirigeante d’une grande puissance, en compagnie de Poutine bien sûr, avec la plus grande longévité. Douze années qui entretiennent le mystère autour de sa personne, de son parcours et de ses idées.

Merkel l’inattendue
On ne la présente aujourd’hui plus, mais Angela Merkel a eu une trajectoire plus qu’atypique qui ne laissait pas franchement penser qu’elle finirait un jour à la tête de la quatrième puissance mondiale. Et encore moins qu’elle y resterait !
Après sa naissance en 1954 à Hambourg, son père, pasteur, décide de passer à l’Est. Phénomène déroutant pour l’époque, d’autant plus que le socialisme était plutôt hostile à la religion. Mais ce dernier était particulièrement proche du parti, ce qui lui valut un statut privilégié. Baignant dans cette éducation politique et religieuse, Angela Merkel apprend à écouter et à ne pas laisser filtrer ses propres opinions, pas vraiment socialistes. Ce silence restera caractéristique de la chancelière encore difficile à cerner.

Elle excelle scolairement et devient docteure en physique. Mais son avenir, nous le savons tous, était ailleurs. C’est donc en RDA qu’elle entame son parcours politique, avec le nom de son premier mariage, qu’elle conserve encore aujourd’hui. D’abord engagée dans le département pour l’agitation et la propagande de l’Académie des sciences, elle entre en 1989 dans l’opposition et c’est véritablement à la chute du mur qu’elle lance sa carrière.
Malgré son profil de femme de l’Est, protestante, divorcée et remariée, elle parvient à se faire accepter au sein de l’Union Chrétienne-Démocrate. Sous la houlette de Helmut Kohl, Angela Merkel devient la plus jeune ministre allemande en se voyant confier le ministère des Femmes et de la Jeunesse en 1991. Depuis cette première nomination, celle que son mentor appelait « la gamine » n’a jamais quitté la sphère dirigeante. Continuant de faire ses armes dans le parti, au grand dam de très nombreux détracteurs, c’est à l’Environnement qu’on la retrouve en 1994. Prémisse de son rejet du nucléaire, peut-être pas, mais elle lance alors la première convention de l’ONU sur les changements climatiques.

Après neuf ans passés à se faire sa place, elle est nommée Secrétaire générale du parti en 1998, et en obtient la présidence en 2000. Les scandals financiers qui impliquait Kohl avait semé la zizanie mais personne n’avait osé tourner le dos à leur leader. Personne sauf « la gamine ». Grâce à ce sens du calcul et à une froideur qui continue de lui être reprochée, Angela Merkel devient la première femme à accéder à un poste aussi important dans la politique allemande.
Sa course à la chancellerie en 2005 est donc légitime et inévitable. Il n’est cependant pas facile de remplacer le grand nom de la politique nationale que représente Helmut Kohl. La victoire de celle que le peuple allemand ne connaît encore pas bien est relative. La néo-chancelière se retrouve à la tête d’une grande coalition gauche/droite entre CDU et SPD.
L’inamovible Mutti
C’est donc en 2005, après un parcours surprenant, que commencent plus de douze ans à la tête du pays. Son manque de popularité, Angela Merkel va réussir à le combler dès son premier mandat, grâce à la crise de 2008. Si les crises n’ont que rarement des avantages pour la population, celle-ci semble avoir permis aux Allemands de se trouver un nouveau leader. La gestion de la crise par Merkel fait glisser (très) doucement la CDU vers le centre. Sa politique budgétaire très stricte se veut alors rassurante en mettant en valeur la défense des intérêts nationaux tout en entérinant le libéralisme allemand. Véritable volonté idéologique de se détourner du côté le plus conservateur de la CDU ou simple calcul politique ? Telle est et restera l’insoluble question qui tourne autour de la chancelière.

Sa réélection en 2009 est beaucoup plus marquée. La CDU remporte 33 % des voix contre 23 % pour le SPD. L’assise de Merkel s’installe. Les deux mandats qui vont suivre vont épaissir le flou de sa politique.
Elle mène sa politique internationale, notamment la crise grecque, d’une main de fer. Première à montrer une véritable nécessité de la résoudre, elle prend finalement la décision de ne pas annuler leur dette. Une main de fer, ou plutôt deux mains jointes dans une position qu’elle ne quitte pas, symbole d’une fermeté enrobée de diplomatie.

Mais, plus récemment, la crise des migrants a révélé au monde un autre visage, puisque dans une Europe paradoxalement fermée, la chancelière a ouvert ses frontières et permis à des milliers de personnes de trouver refuge sur le continent. Ici encore : est-ce un calcul politique ? Ce penchant social soudain s’explique par sa façon de prendre des décisions : toujours pragmatiques, et plus ou moins en accord avec l’avis de la population.
“Vous me connaissez”
était en effet le slogan de sa campagne de réélection de 2013, montrant la force de sa relation avec le peuple allemand. Mais avec les surprises réservées à ce dernier lors de son troisième mandat, l’argument de campagne ne tenait plus pour 2017. On se rappelle ainsi de sa décision soudaine, après le désastre de Fukushima, de mettre fin au nucléaire allemand et de devenir ainsi l’ambassadrice des énergies propres. Mais c’est sans doute la dernière en date qui fut la plus déroutante, surtout venant de la tête de la CDU. Je parle bien de l’adoption de la loi pour le mariage homosexuel. Adoption qui a été votée en moins d’une semaine, une décision incroyable pour les Allemands autant que pour les observateurs extérieurs. Après ces poussées progressistes, allant à l’encontre de certaines de ses propres déclarations, il est clair qu’aucune idéologie ne semble guider le parcours de la “Mutti” (“Maman” en allemand), même après douze ans à la tête de l’État. Le mystère autour de cette grande femme de pouvoir reste total.
Cependant, cette absence de ligne définie, souvent critiquée, se transforme de plus en plus en gage de stabilité. L’arrivée de Trump – qui n’est pas l’homme le plus digne de confiance de la planète, à la tête des États-Unis – a en effet placé indirectement Mme Merkel en nouveau leader du monde libre. Contrairement à lui, la femme la plus importante du monde ne risque en effet pas, avec sa discrétion et sa prudence, de chambouler son pays qui l’appelle aujourd’hui “Mutti”, ou de provoquer une Troisième Guerre mondiale. Ce qui se veut plutôt rassurant.
image de couverture : © Ulrich Baumgarten/Getty Images