Quid de l’Assemblée
Le 5 et 6 juillet dernier, en Commission des affaires sociales, la loi d’habilitation est débattue. Celle-ci permet au Gouvernement de modifier le Code du travail par ordonnances ; c’est une sorte de dépossession du pouvoir de l’Assemblée vers le Gouvernement. La particularité de ce débat : 99 % des amendements sont rejetés. Un seul des amendements, de la Commission des affaires sociales, sur 191 a été approuvé, celui-ci était proposé par le rapporteur du texte : une députée LREM. Par ailleurs, trois amendements supplémentaires provenant de la Commission des finances ont été par la suite adoptés. On peut se dire que sur une loi d’habilitation, il est normal de voir peu d’amendements, de là à atteindre 99 % de refus, il y a un autre pas.

En dehors des commissions, l’Assemblée nationale penche systématiquement et avec un consensus impressionnant dans le sens du Gouvernement. Dans ces cas-là, l’histoire de la Ve République montre que, peu à peu, l’opposition se forme et se solidifie pour deux raisons. D’abord, un enjeu idéologique : les députés doivent faire valoir leur opinions et infléchir les possibles lois dans le sens de ceux qu’ils représentent. La seconde raison est une question de stratégie : plus le temps avance, plus il y a de chances que la cote de popularité du Gouvernement et du Président chute. En se plaçant dans l’opposition, il est plus facile de récupérer les voix des déçus.
Les Constructifs qui sont Macron-compatibles empêchent la formation d’une véritable dissidence face au Gouvernement
Ici, une question se pose : qui est l’opposition ? La France Insoumise s’est auto-proclamée force majeure de l’opposition aux côtés des communistes. De l’autre côté Les Républicains, deuxième parti de l’Assemblée, aurait dû être la véritable opposition. Cependant, les Constructifs qui sont Macron-compatibles empêchent la formation d’une véritable dissidence face au Gouvernement. Ainsi l’opposition se construit autour de la gauche plus que de la droite, signe que Macron mène une politique plus à droite qu’à gauche malgré le fait qu’il ne se revendique de rien. Le problème de cette opposition de gauche, c’est qu’elle est peu légitime, déjà par son nombre relativement faible de députés et surtout par la débâcle de la FI depuis l’élection présidentielle.
Cela veut-il dire qu’en France, nous sommes en démocratie mais qu’il n’y a pas d’opposition ?
Probablement que non. La France est une démocratie libérale, de fait, elle laisse la possibilité d’avoir une opposition. Ceux qui pensent vivre dans un pays où il n’existe pas d’opposition sont soit motivés par un dessein politique pour casser le Gouvernement, soit ils sont mal informés. Dans de nombreux pays il existe ce qu’on appelle des « démocraties illibérales », où les droits fondamentaux ne sont pas respectés et les libertés restreintes. Pourtant, les gouvernants sont élus par le peuple (ou une partie en cas d’absence de droit de vote des femmes). Quelques exemples : La Hongrie de Viktor Orban qui appelle à la création d’un État non libéral ; Singapour ; La Turquie d’Erdogan depuis le putsch raté de 2016 et évidemment la Russie. En France, l’opposition existe autant que la Constitution est respectée.

Il est certain qu’en octobre 2017, la scène politique nationale ne connaît quasiment plus d’opposition. Mais plusieurs parties de cette affirmation sont à nuancer. D’abord, rien n’est immuable, il n’y a aucune garantie que les députés de LREM restent aussi passifs à l’égard du pouvoir pendant le reste de leur mandat. De même, les luttes politiques ne se font pas qu’à l’échelle nationale, il n’y a pas que les députés et le Gouvernement qui produisent du politique en France. Que ce soit au Parlement européen, dans les directions régionales et départementales ou dans les mairies, le monde politique entretient une opposition avec le Gouvernement. Bien que cette opposition ne soit pas forcément reconnue médiatiquement, son poids n’est pas négligeable dans la vie des citoyens. De même pour les syndicats, les think-tank, les colloques universitaires, ou dans la production scientifique, il existe des oppositions aux idées libérales défendues par Macron. Alors, cette opposition n’est pas aussi visible que celle que l’on a pu voir sous François Hollande et l’épisode des frondeurs. Mais elle a le mérite d’exister. Il est également important de rappeler que le collège sénatorial est très majoritairement issu de partis adverses à LREM.
Dire que la France est une démocratie sans opposition est un artifice militant, qui correspond à une réalité partielle qui réduit la lutte politique à l’Assemblée nationale
Enfin, dernière opposition, qui semble être la plus forte finalement, l’illégitimité du Président. Certes, les 66,10 % du second tour ont appuyé sa présence à l’Elysée, mais il faut rappeler le taux d’abstention de 57,36 % au second tour des législatives et de 25,3 % au second tour de la présidentielle. Quand on est élu avec une part si faible de la population, il faut arriver à porter le poids des réformes avec d’autant plus de vent contre soi. Ce n’est pas un vent brusque qui se lève et s’arrête immédiatement, comme la rue et la FI pourraient le porter si il y avait plus de mobilisation, c’est une brise insistante et permanente. L’abstention va au-delà de la simple opposition politique, c’est une opposition au politique. Une négation du macronisme autant qu’un refus de tout le corps politique voire du principe d’élection.
image de couverture : © Julien Mattia / Le Pictorium / Barcroft Images