Les femmes rejoignent les rangs de l’armée
Avec 15,5 % de femmes dans ses rangs en 2015 selon le ministère de la Défense, l’armée française fait figure d’exemple international en terme de féminisation. Un chiffre qui reste pourtant faible et révèle un plafond de verre toujours tenace. Alors que l’armée diffuse de nombreuses campagnes de recrutement à destination des jeunes, je suis allée à la rencontre de jeunes femmes qui osent franchir le pas. Un engagement loin d’être anodin, qui n’échappe pas aux critiques mais qui révèle surtout la volonté de faire sa place dans un monde vu comme masculin avant tout.

Attention, ce n’est pas un milieu pour les filles
Ameline, 19 ans, réserviste ayant signé un contrat d’un an avec l’armée, parle d’abord « des belles valeurs que l’on acquiert », en ajoutant qu’elle « aime ce milieu et sa rigueur », qu’elle voulait « servir son pays ». Des motivations assez semblables pour Alexandra et Marie, 18 ans. La première souhaite intégrer la réserve l’année prochaine avant d’entrer comme militaire active. La seconde désire intégrer une unité combattante et rêve d’un poste décisionnel de haut niveau plus tard.

Malgré leur détermination et leur motivation, le choix de carrière de Marie et d’Alexandra a suscité de vives réactions dans leurs familles. « Les femmes ce n’est pas fait pour pour donner la mort mais pour porter la vie » ou encore « Attention, ce n’est pas un milieu pour les filles, il y a des viols ». Quand Alexandra a su qu’elle ne pourrait pas être pilote de chasse, on lui a répondu que « ce n’était pas une grande perte » et qu’elle n’aurait « qu’à être institutrice ». Mais toutes mettent également en valeur le soutien qu’elles ont reçu. Pour Alexandra, c’est l’armée elle-même qui l’a aidée :
ils m’ont donnée des conseils et encouragée pour mes études
Dans la famille d’Ameline, où personne n’a fait l’armée, on la trouve d’abord « courageuse, parce que c’est un engagement important ». Aucune pourtant n’a de réelles appréhensions : elles savent qu’elles s’intégreront, si elles font les efforts pour. Au-delà de capacitées physiques inégales entre femmes et hommes, c’est d’abord les compétences qui font le militaire, pas son genre.
L’une des armées la plus féminisée au monde ?
La brochure fournie par le ministère de l’Intérieur sur les femmes des armées parle fièrement de l’armée française comme de « l’une des armées la plus féminisée au monde ». Le détail des chiffres est moins optimiste. 57,9 % des femmes militaires sont dans les services de santé, un domaine historiquement très féminisé. Seuls 6,7 % des militaires déployés en OPEX (opérations extérieures) sont des femmes. Elles restent enfin relativement écartées des postes à responsabilité : ce n’est qu’en 1976 qu’une femme, Valérie André, a été nommée pour la première fois au grade d’officier général. Aujourd’hui, sur les 303 officiers généraux en activité en France, 30 sont des femmes, soit seulement 10,1%. Et c’est n’est qu’en 2017 que trois femmes ont pu embarqué pour la première fois dans un sous-marin nucléaire : une mesure expérimentale annoncé par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, en 2014.
Un tabou sur la misogynie dans l’armée ?
Si, pour Ameline, « l’armée n’a aucun problème avec les femmes » et qu’il y a parmi les militaires ni plus ni moins de misogynes qu’ailleurs, Marie a un discours plus nuancé. Elle raconte ainsi qu’une de ses amies, élève à Saint-Cyr, lui a expliqué que certains garçons venant de milieux catholiques traditionalistes, où l’engagement militaire est souvent une affaire de famille, refusaient d’adresser la parole à certaines filles. Il y a quelques mois, une affaire a défrayé la chronique : Morgane Blanchet, militaire d’une vingtaine d’année, a porté plainte pour harcèlement sexuel et moral. Elle cite les propos à connotation sexuelle d’un cadre de l’armée, les brimades incessantes… Lorsqu’elle en parle à ses supérieurs, des suspensions s’en suivent, mais pour Morgane, l’armée cherche surtout à étouffer ces affaires :
les harceleurs s’en sortent, ils sont protégés car la structure de l’armée permet d’étouffer ces scandales.
Après une dépression et une blessure, l’armée met fin à son contrat pour « insuffisance de résultat ». Une décision qui montre le tabou sur les violences sexuelles dans l’armée et l’absence de politiques efficaces pour y mettre fin. Selon Morgane :
lorsque ces scandales viennent à se savoir, on incite la victime à parler tout en la poussant vers la porte.
La solution réside-t-elle dans une modernisation de l’armée, qu’on décrit souvent comme une institution surannée et attachée à ses traditions ? Marie, Alexandra et Ameline sont équivoques : aucune d’elles ne souhaitent un changement du fonctionnement de l’armée mais celles-ci pensent plutôt que la féminisation de l’armée nécessite aujourd’hui une plus grande acceptation des femmes militaires.
image de couverture : JJ Chatard © DICOD