Orianne nous livre son expérience cubaine
Malgré l’effervescence de la presse autour de son régime, il plane toujours un mystère sur Cuba. Orianne a 21 ans. Originaire de Bordeaux, elle a décidé de partir étudier une année à Cuba et nous livre une vision originale et personnelle sur ce pays, son régime et sa culture.

Peux-tu te présenter et nous décrire ton parcours ?
« Je m’appelle Orianne, j’ai fait mes deux premières années d’études à l’IUT Bordeaux Montaigne. J’ai terminé et validé en juin un DUT Carrières Sociales, option Gestion Urbaine et Solidarités. C’est un diplôme qui mêle les sciences sociales et l’apprentissage du travail social en lien avec l’urbanisme. Cette année, j’ai fait ma troisième année d’études à Cuba, pour valider un Diplôme Universitaire d’études socioculturelles dans une université à l’étranger partenaire de l’IUT de Bordeaux. »
Pourquoi avoir choisi Cuba ?
« J’ai choisi de faire cette année à Cuba d’abord parce que je souhaitais partir dans un pays hispanophone, mais aussi pour me plonger dans une nouvelle culture. J’ai aussi saisi cette opportunité de découvrir un système éducatif complètement différent, car je souhaite travailler dans le domaine de l’éducation.
Je suis donc partie étudier à Santiago de Cuba, deuxième ville de ce pays de 11 millions d’habitants. C’est une ville qui est assez pauvre par rapport à la Havane, la capitale, c’est-à-dire que le niveau de vie des habitants y est plus bas, et donc les prix également. »

La vie à Cuba est-elle si différente de la nôtre ?
« Il est évident qu’il existe d’énormes différences culturelles entre ces deux pays. En ce qui concerne l’accès à l’information et à la presse, tous les journaux, chaînes de télévision et de radio sont publiques et donc possédées par le gouvernement. Aucunes critiques du gouvernement n’est donc possible par ses biais-là… Le gouvernement diffuse les actualités, des programmes culturels ou historiques, des dessins animés, des films, et des télénovelas (séries télévisées) que beaucoup de femmes adorent.
L’accès à Internet est également une particularité cubaine. Cela fait très peu de temps que les cubains bénéficient d’un accès à Internet et celui-ci est encore très restreint par rapport à notre utilisation d’internet en France par exemple. Ici, personne n’a de Wi-Fi dans sa maison : Internet n’est accessible que dans les places publiques, dans les lieux de travail ou encore à l’université. Ce qui signifie que pour aller sur internet, il faut sortir de chez soi et aller s’asseoir sur l’un des bancs d’une place publique.
Imaginez qu’à Bordeaux Centre, toutes les personnes connectées doivent se rendre sur la Place de la Victoire, à Gambetta ou sur les quais pour se connecter… Cela fait beaucoup de monde dans les rues. La conséquence est aussi qu’à certains horaires, les places publiques sont parfois remplies de personnes le nez sur leur écran…
Ce que font beaucoup les cubains, c’est sortir le week-end dans les places et parcs, par exemple, sur la place principale de Santiago, un groupe y joue en plein air, ou bien un DJ mixe de la musique pour danser, notamment la salsa et le reggaeton. Les cubains s’y retrouvent en famille, ou entre amis, toutes générations confondues, pour danser ou juste pour profiter du samedi soir. Des petits vélos et carrioles d’un autre temps sont loués pour les enfants, c’est toujours festif et convivial. C’est quelque chose qu’on ne trouve pas en France. »

Penses-tu que l’embargo américain a maintenu le pays dans la misère ?
« Il faut savoir que cet embargo datant de 1962 fut moins nuisible durant les premières décennies puisque l’économie cubaine était assistée par l’URSS. À partir de 1991, après la chute du bloc soviétique, les cubains ont vécu une grande crise appelée « période spéciale » plongeant le pays dans la misère et la famine.
Malgré de récentes améliorations, Cuba reste un pays pauvre. La vie de beaucoup de cubains est difficile car ils manquent souvent de produits de première nécessité. Ils développent donc l’art de la débrouille pour venir à bout des besoins élémentaires. Les cubains disent « el cubano inventa », ce qui signifie “le cubain invente”. Beaucoup par exemple ont plusieurs métiers. Ils travaillent pour l’État mais aussi au noir, il y a beaucoup de marchés noirs pour acheter des habits, de la viande, du rhum, des téléphones, ordinateurs ou autres engins technologiques, et bien sûr de la nourriture. Les cubains blâment l’impérialisme américain et leur système pour ce retard économique non négligeable. En revanche, ce pays est un exemple mondial sur le plan social. L’accès à la santé et l’éducation est gratuit ce qui est vraiment unique pour un pays pauvre. »
99,9 % de taux d’alphabétisation à Cuba
« Étudier à Santiago est pour moi une très bonne expérience car je reçois des cours de très bonne qualité à l’université et j’apprends à vivre dans un système et une culture où la vie est totalement différente, mais où elle est aussi agréable. Les cubains ont une joie de vivre impressionnante et on se sent en sécurité. »
Remarques-tu une occidentalisation des cultures autour de toi ?
« Personnellement, dans la licence où je suis inscrite, il n’y a pas d’autres étudiants étrangers, mais il y en a dans d’autres licences de mon université. Il y en a plus à l’université de médecine, car Cuba est un pays reconnu pour avoir un très bon système de santé et des médecins très bien formés. En général, il y a surtout des étudiants Africains, Sud Américains, Canadiens, et aussi quelques Européens.
Je ne sais pas si on pourrait parler d’occidentalisation de la culture car la culture latino-cubaine est profondément ancrée à Cuba. Mais, par certains aspects on pourrait parler d’une certaine occidentalisation, ou plutôt d’une américanisation, ce qui est très paradoxal. En effet, malgré les relations compliquées entre Cuba et les États-Unis, beaucoup de jeunes cubains sont habillés à l’américaine, avec des leggings ou des tee-shirts arborant les couleurs des USA, des casquettes NY… À La Havane, beaucoup de cubains regardent la chaîne américaine diffusée en cubain depuis Miami.
Cuba est un mélange d’une multitude de cultures. Les jeunes écoutent à la fois du reggaeton, comme partout en Amérique Latine ; de la salsa, de la rumba ou du son, styles typiquement cubains, ou encore des standards commerciaux américains comme partout dans le monde. »
Comment as-tu vécu la mort de Fidel Castro, constituant un événement historique de ce pays ?
Hasta la victoria siempre
« Pendant 9 jours suite à la mort de Fidel le 25 novembre 2016, l’état de deuil national a été instauré. Je suis allée à la cérémonie en son hommage sur la place de la Révolution. C’est une place immense, toujours vide et grise, surplombée par une immense statue d’Antonio Maceo, un combattant pour l’indépendance de Cuba, chevauchant son destrier. Mais le jour de la cérémonie, cette place était remplie d’une foule grouillante et énorme, levant des drapeaux cubains, des photos de Fidel, des slogans révolutionnaires ou des drapeaux d’autres pays en écho à la politique internationaliste castriste. Angola, Sahara occidental, Palestine, Algérie. C’était comme une grosse manifestation en France. Les gens scandaient des slogans tels que « Fidel amigo Santiago esta contigo » (Fidel, ami, Santiago est avec toi) ou les classiques « hasta la victoria siempre », « patria o muerte » ou encore « venceremos ». Des jeunes arboraient des maquillages
I ♥ Fidel.
En tout cas, la mort de Fidel n’a pas notablement changé Cuba, puisque celui-ci n’était plus au pouvoir depuis longtemps, et que le régime politique reste le même que depuis que Raul Castro est au pouvoir. Les changements ont déjà eu lieu à cette période-là… Pour aujourd’hui, Fidel ou pas, Cuba reste Cuba. »
Que pensent les jeunes de ce régime ?
« Je suis sortie de cet événement incroyablement étonnée par la popularité dont bénéficiait Fidel auprès du peuple cubain. Ensuite, c’est en discutant avec des amis cubains que le paradoxe s’est fait sentir. Globalement, les jeunes reconnaissent que le régime a fait beaucoup de choses positives pour leur pays. Certains mentionnent l’indépendance de Cuba, d’autres la disparition des inégalités entre blancs et noirs, car même s’il reste des inégalités, tous ont les mêmes droits et peuvent accéder aux mêmes métiers.
Globalement, les jeunes parlent peu de politique.
Cependant, les jeunes que j’ai eu l’occasion de côtoyer ne sont pas des fervents défenseurs de Fidel. Ils critiquent les aberrations du système comme le manque d’accès à Internet, le contrôle de l’économie qui maintient Cuba en arrière dans le temps, les difficultés de la vie et parfois la propagande. La plupart ne se considèrent pas comme communistes, ce sont les personnes âgées défenseuses de la Révolution qui sont qualifiées comme telles. Mais globalement, les jeunes parlent peu de politique. »
Que penses-tu du racisme à Cuba ?
« Il est paradoxal puisque la société est très métissée. Les ghettos ont été supprimés avec la Révolution cubaine, mais il m’est arrivé d’entendre des réflexions racistes qui restent cependant minoritaires. Comme en France, il y a malheureusement partout des personnes intolérantes. »
Après avoir passé un an dans ce pays, dirais-tu que Cuba est une dictature ?
« Cette question est difficile. Je pense que certaines critiques du régimes sont fondées concernant la liberté de la presse par exemple. Cuba était probablement une dictature à son commencement mais le pays s’ouvre de plus en plus et le gouvernement trouve son pouvoir dilué par les avancées de la société. De plus les gens ont une joie de vivre impressionnante malgré les difficultés économiques rythmant leurs vies. Il ne faut pas oublier que certains acquis sociaux sont considérables pour ce pays du tiers-monde. Enfin, beaucoup de cubains n’apprécient pas que les étrangers critiquent leur régime en le qualifiant incessamment de « dictature », s’ils doivent le juger, ils préfèrent le faire eux-même, eux qui le vivent depuis toujours.
Nous pouvons également nous demander si la France est véritablement une démocratie et nous comprenons alors qu’aucun régime n’est encore parfait, il reste partout des progrès à faire.
Dans tous les cas, il est impossible de trancher car dans tous ses aspects, Cuba est un pays plein de paradoxes mais j’ai adoré expérimenter une nouvelle façon de vivre, rencontrer des personnes formidables, et découvrir une culture populaire très riche. »
image de couverture : CUBA © Roberto Machado Noa/LightRocket/Getty Images