Mise au clair sur une situation restée en suspens…
Comment survivre à la suite d’un quinquennat ayant trahi la grande majorité de ses promesses, d’une primaire menant un frondeur à la bataille de l’Élysée, suivie d’un échec cuisant aux présidentielles et davantage encore aux législatives ? Le Parti socialiste (PS), emblème de la gauche française, semble avoir revêtu le bonnet d’âne, en signe de bon dernier de la classe, après ces longs mois de campagnes et d’élections. À l’heure où le clivage partisan ne trouve plus l’écho dont il jouissait jusqu’alors au sein de la société, il est nécessaire de revenir aux valeurs fondamentales qui le définissent et l’ont fait évoluer. Affaibli par les scissions, doublé à sa gauche par La France insoumise, à sa droite par La République en marche !, il semble pour le parti d’Épinay difficile de se targuer d’être encore aujourd’hui le représentant de la social-démocratie. Petit éclairage sur un avenir obscur pour la gauche dont on a du mal à voir les lignes se dessiner.
La gauche est morte.
Considérer le PS comme la « gauche », davantage par souci de langage, c’est prendre un raccourci peu représentatif de l’histoire du clivage qui l’oppose à la droite.
Cette fameuse opposition a vu le jour lors la Révolution française, lorsque l’Assemblée nationale constituante créée en 1789 a dû se prononcer sur les pouvoirs accordés au Roi de France. Les révolutionnaires et membres du Tiers état prônaient alors une limitation de ses pouvoirs en le restreignant à un simple droit de veto suspensif, tandis que les nobles, haut-placés dans la société, soutenaient une monarchie ferme. C’est ainsi que ces derniers se sont placés à droite du Président de Chambre, et les représentants du peuple à gauche. De fait, historiquement, le clivage gauche/droite naît des idéaux divergents au sein de la société française, matérialisés par une séparation topographique à gauche et à droite des représentants de l’Assemblée nationale constituante.

Cette parenthèse historique refermée, il ne faut jamais oublier que les divergences entre courants voire au sein d’un même courant ont toujours existé, et ce depuis la création des partis. L’ancêtre du PS, la SFIO (1905), n’était pas à sa création et n’a jamais été l’unique parti de gauche rassemblant toutes les tendances. Au sein même du socialisme, des affinités se forment à l’époque autour de figures telles que Jules Guesde ou Jean Jaurès.
Tout cela se résumant grossièrement par l’opposition entre une gauche luttant pour une égalité sociale dans une société plus juste, face à une droite attachée aux traditions et à l’ordre établi. En réalité, ce clivage repose sur des faits bien plus complexes qui ne vont pas en s’amenuisant, tels que le libéralisme économique associé à la droite, celle-ci étant plus conservatrice que la gauche sur les sujets sociaux, etc. On en vient alors au nœud du problème. Certes, en plus de deux siècles, la société a eu le temps d’évoluer. Néanmoins, il ne me semble pas que les distinctions entre classes sociales se soient envolées. Si les paysans du Tiers état ne sont plus les esclaves des nobles et du clergé, une France plus vulnérable existe toujours, distinguée des classes moyenne et aisée. Et malgré l’effondrement des cadres du parti à la suite du quinquennat Hollande et de la campagne du PS en 2017, le titre imprimé en gras que l’on a pu lire à maintes reprises dans différents journaux « La gauche est morte » n’a selon moi aucun sens. La gauche, si l’on en revient aux prémices, c’est avant tout des valeurs, celles de la justice sociale, de l’égalité, de la rupture avec le capitalisme dévastateur.
Si l’on se pose la question de son avenir, c’est parce que le PS, seul véritable parti de gouvernement de la gauche à l’heure actuelle, est en voie d’essoufflement.
La vraie question se posant désormais est de comprendre comment et sous quelle forme celui-ci peut se restructurer, quel avenir lui est réservé face à un Président Macron se positionnant et à droite, et à gauche. Réparer les pots cassés ou repartir de zéro, repenser le jeu des alliances, voilà le travail qui attend les élus socialistes dans les mois qui viennent.

Petit récap de la situation
Aujourd’hui, où en sommes-nous ? Rapide constatation : la gauche est éclatée en de multiples courants. Entre les hamonistes, vallsistes, mélenchonistes, représentants de la Nouvelle Gauche à l’Assemblée nationale, les communistes qui font toujours bande à part… On s’y perd un peu, beaucoup. Ces divisions traduisent le fait qu’aucun acteur ou groupe n’est actuellement en capacité de défendre un poste de leader et de faire peser sa voix sur le devant de la scène politique. Car il faut bien l’avouer, depuis la débâcle des présidentielles et des législatives, le PS c’est… silence radio.
En revanche, un certain Jean-Luc Mélenchon fait parler de lui et de son groupe sur les bancs de l’Assemblée nationale. La France insoumise, créée début 2016, prétend bien devenir la première force d’opposition à gauche.

Côté désertion, voire trahison, j’appelle Manuel Valls. Après une réélection controversée comme député de l’Essonne, ce dernier a choisi de rejoindre La République en marche ! à l’Assemblée nationale. Oui, oui. Passons.
Quant à Benoît Hamon, après avoir été le fier représentant du PS aux élections présidentielles puis aux législatives, il a lui aussi dénié toute responsabilité quant à l’état d’agonie de son parti : il vient juste de créer son mouvement du 1er juillet 2017 (M1717).
Aujourd’hui, j’ai décidé de quitter le Parti socialiste. Je quitte un parti mais je ne quitte ni le socialisme ni les socialistes.
Un peu facile tout ça.
Bash pour L’alter Ego/APJ
Les 31 députés appartenant au groupe parlementaire la Nouvelle Gauche essaient, de leur côté, de… d’exister comme ils peuvent. La Nouvelle Gauche, c’est juste un nouveau nom choisi à la place du Parti socialiste qui a clairement l’air, ces derniers temps, de porter malheur.
Arrêtons-nous juste une seconde sur Dès demain, créé en mai par 200 personnalités dont Anne Hidalgo et Christiane Taubira. Pro-européen, écologiste et social : trois adjectifs définissant Benoît Hamon, mais un mouvement encore différent du sien.
© Bash pour l’alter ego/APJ
Bref. On s’y perd, et finalement, on ne sait plus où donner de la tête. Mais si vous suivez ma pensée, vous aurez compris que je suis convaincue qu’au-delà des mots « gauche » et « droite », ce sont davantage les valeurs qu’a jusqu’à présent représentées la gauche qui sont aujourd’hui remises en cause et qui font débat.
Le Parti socialiste n’est pas une langue morte.
Bafoué, humilié, accusé d’être le responsable de tous les maux que supporte la France aujourd’hui… C’est une reconstruction de grande ampleur – si ce n’est totale, qui attend le Parti socialiste. Au final, alors qu’aucune alternative audible ne semble émerger, la gauche est-elle vouée au « populisme humaniste » de Mélenchon pour les années à venir ? Pour beaucoup des déçus du parti, si celui-ci se trouve dans une telle situation aujourd’hui, c’est parce que le précédent gouvernement n’a pas respecté ses valeurs et aurait conduit une politique de droite. En ligne de mire, la loi El Khomri. Or le PS se revendique d’inspiration sociale-démocrate, c’est-à-dire que tout en acceptant le jeu du libre marché, de la mondialisation impossible à remettre en cause au XXIe siècle, celui-ci milite pour une organisation sociale plus juste. Une vision plus pragmatique et réaliste du monde contemporain, mais qui peut très vite faire débat si elle n’est pas conduite avec la justesse attendue. François Hollande n’en est d’ailleurs pas ressorti indemne. Essayant de justifier la situation du parti au début de l’année, Louis Mermaz, ancien président de l’Assemblée nationale et fidèle ministre de François Mitterrand, avait déclaré :
Le Parti socialiste n’est pas une langue morte, ça doit être une langue vivante.
Que ce soit sous un nouveau nom, de nouvelles couleurs, les idéaux sociaux-démocrates ne disparaîtront pas. En plus d’avoir du mal à définir une ligne politique plus précise que « pas Macron, pas Mélenchon », c’est aussi leur organisation interne que les élus PS ont à repenser : derrière quelle figure dominante se réunir ? Pour le moment, le plus important reste à se définir un espace politique distinct de LREM et de la FI. Si un débat oppose nettement la gauche mélenchoniste de la gauche socialiste, c’est celui de leur point de vue sur l’Europe.
Au fait, l’Europe
C’est là que repose le point crucial. Comme on l’a vu, que ce soit au sein de la gauche ou de la droite, des courants se distinguent sur certains points, certaines affinités. Au sein de la gauche, le débat sur l’Union européenne, lui, fait rage. Les socialistes, dont on a rappelé les valeurs, s’inscrivent dans une démarche pro-européenne d’ouverture sur le monde, là où les Insoumis y voient le moteur d’un dumping social défavorisant le peuple français. C’est cette controverse qui, selon moi, prépare une scission définitive au sein des partis de gauche, ou tout du moins, ne permettra plus leur réconciliation.
On veut voir renaître un grand Front populaire.
Petit arrêt chez La France insoumise. Il y a neuf ans, Jean-Luc Mélenchon quittait le PS pour voler de ses propres ailes. Fondateur du Parti de gauche puis plus récemment de La France insoumise, il bénéficie d’une forte popularité chez les jeunes et les classes populaires. On pourrait donc naturellement penser qu’il serait le plus à même de revendiquer le statut de leader de la gauche. Rappelons-nous d’ailleurs l’anecdote des présidentielles lorsqu’avec Benoît Hamon, ils se proposaient mutuellement de se retirer pour soutenir la candidature de l’autre afin de « rassembler » la gauche. Mélenchon n’a pas eu à rougir de son score : 19,58 % des suffrages exprimés au premier tour, une première pour ce candidat considéré très à gauche.
Lui, ses valeurs, ce sont celles de la gauche originelle, pure et dure : au plus près du peuple, et farouchement opposé à l’économie de marché. La vraie question est : La France insoumise peut-elle véritablement devenir une alternative, un parti de gouvernement, rassembleur, ou restera-t-elle un parti d’opposition indéniablement populiste ?
Un membre des Insoumis me confiait il y a quelques semaines : « L’objectif est de rendre le parti plus démocratique. » Assuré d’être la principale force d’opposition à gauche, il souhaiterait voir « renaître un grand Front populaire (1) » avec à sa tête La France insoumise.
Jusqu’ici, les actions made in Insoumis à l’Assemblée nationale ne présagent pas l’apaisement des discours. Entre le déballage des courses faites avec 5 euros au beau milieu de l’hémicycle en réaction à l’annonce faite par le gouvernement de baisser les APL de ce montant, la manifestation prévue contre la réforme du code du travail, l’étiquette du « non » reste collée à l’identité du parti. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que c’est à travers le « non » que Jean-Luc Mélenchon s’est distingué politiquement, lorsqu’il s’est opposé, en 2005, au traité établissant une constitution européenne.

On dirait bien qu’une rentrée se prépare…
Beaucoup de choses seraient en train de se tramer en vue de la rentrée, pour tout le monde. Pour l’instant au PS, pas d’annonces particulières, pas d’université d’été, pas de nouvelles figures. On attend, patiemment.
Même chose du côté de Hamon. L’euphorie créée par le lancement de son mouvement le 1er juillet est rapidement retombée. Il préparerait son retour en force. Au programme : un séminaire de la direction provisoire prévu les 9 et 10 septembre pour discuter de la construction du mouvement, et un « événement national » prévu pour les prochains mois (2). On a hâte.
Lancement du mouvement du 1er juillet – © Bash pour L’alter ego/APJ
Les écolos dans tout ça n’ont pas récolté un seul député à l’Assemblée nationale. Et avec Nicolas Hulot comme ministre de l’Environnement, Macron passe pour le plus grand sauveur de la planète. Donc au revoir EELV.
Encore une fois, seul Mélenchon s’est montré actif pendant les vacances, en organisant une université d’été et en poussant de la voix au palais Bourbon. Sa rentrée, c’est surtout dans la rue qu’elle va se passer, pancartes et slogans anti loi-travail à la main.
L’heure de la clarification
Alors que les Insoumis sont désormais bien assis sur leur position, c’est aux socialistes que revient le devoir de se positionner face à eux et aux macronistes, de façon à retrouver une légitimité nouvelle. La place des jeunes dans ce travail de refondation est incontestable : si La République en marche ! a fait table rase d’une politique partisane dite « dépassée » en bousculant les lignes, au-delà des partis, nous nous devons de défendre les valeurs qui nous sont chères et qui seront déterminantes pour l’avenir que nous mènerons. Dès demain, M1717, le PS… Tous défendent les mêmes idéaux (l’Europe, l’écologie, l’égalité sociale) devenus inaudibles de par leurs divisions. Finalement, ont-ils encore une place entre le « et droite et gauche » du gouvernement, et La France insoumise occupant toute la place à gauche ? Le temps de la reconstruction nous le dira, mais c’est un challenge plus que déterminant qu’il serait beau de relever.
(1) Coalition entre les communistes, la SFIO et le Parti radical au pouvoir de 1936 à 1938
(2) Le Monde, Comment Benoît Hamon veut structurer son Mouvement du 1er juillet, 22 août 2017
image de couverture : © BAsh pour l’alter ego/APJ