La rentrée agitée de Macron : Jupiter à l’épreuve du réel
Alors que la rentrée approche, le fossé affectif entre les Français et le « Président absolu » Macron ne cesse de s’élargir.
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jours de présidence, et voilà que les Français tournent déjà le dos au projet porté par Emmanuel Macron. Selon un sondage Harris Interactive du 16 août dernier, 62 % des Français seraient insatisfaits de l’action du Président, alors qu’ils n’étaient que 49 % le mois précédent. En effet, depuis quelques semaines, M. Macron fait face à une série de couacs gouvernementaux galvanisant l’opposition portée par Les Républicains (LR) et la France Insoumise (FI), mettant ainsi à mal son ambition de dépasser les partis. De plus, l’image d’un Président absolu, contrôlant tous les arcanes du pouvoir, maître tout-puissant et incontesté du pays semble lasser les Français. Faisons-nous déjà face à la fin de l’état de grâce du Président Macron ?
Une chute de popularité loin d’être une surprise
Si la chute de popularité du Président peut sembler brutale, elle n’en était pas moins prévisible. Avant même de tenter de mettre à jour le faisceau des causes ayant conduit au récent désamour des Français pour leur Président, rappelons que dès son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron ne disposait pas d’une base électorale solide. Il a, certes, battu largement Marine Le Pen au soir du second tour (66,1 % des voix), mais le vote Macron était avant tout un vote anti-Le Pen, un peu comme le vote Hollande en 2012 était un vote anti-Sarkozy.
Lorsqu’il franchit le perron de l’Elysée lors de la passation de pouvoir, le 14 mai dernier, Macron est donc davantage perçu par ses électeurs comme étant un sauveur, un jeune héros de 39 ans ayant défait l’obscurantisme d’extrême droite plutôt que comme un homme politique fiable. Ainsi, ce n’est ni le passé politique, ni le programme (pardon, le projet) du candidat Macron, souvent mal lu et grossièrement interprété, qui l’ont porté au pouvoir, mais plutôt sa fougue, sa jeunesse, sa prestance, son dynamisme, sa volonté de renouveler le « système ». Le chef de l’État est à ce moment conscient de sa fragile popularité, car les Français le connaissent encore trop peu pour l’aimer véritablement, mais l’essentiel pour lui est là : tenir les rênes du pouvoir. Pour M. Macron, qui révèle lui même son goût prononcé pour l’œuvre de Machiavel, la fin justifie les moyens.
Un été orageux pour l’exécutif
Plusieurs couacs successifs survenus durant l’été mettent à mal la confiance que portent les Français à Emmanuel Macron. Dès le départ, ce dernier façonne une image de « Président Jupitérien » perché sur son Olympe, surveillant les mortels de sa foudre céleste, Dieu tout puissant et éternel. Marque d’un ego surdimensionné ou volonté de redéfinir la République en prenant le Général de Gaulle (dont l’héritage moral est aujourd’hui, soulignons-le, revendiqué par toutes les tendances politiques) comme exemple ? Quoiqu’il en soit, la posture que se forge M. Macron fascine autant qu’elle angoisse. La démission quelque peu forcée du chef des armées Pierre de Villiers, 61 ans, le 19 juillet dernier est ainsi l’exemple parfait démontrant que l’autorité verticale du chef de l’Etat fait peur aux Français, et contribue à faire chuter sa popularité. Tous les partis politiques se retrouvent ainsi à critiquer d’une seule voix Macron pour ce limogeage inédit depuis que la Ve République existe, en dénonçant un abus de pouvoir : Macron passe du statut d’attaquant politique au statut d’attaqué : ce n’est plus La République En Marche (LREM) contre les autres partis, mais bien les autres partis contre LREM. Au bout du compte, Macron apparaît comme un jeune loup politique irascible, bafouant l’armée, institution sacrée par excellence en France : le peuple grince des dents, Macron perd 10 points de popularité dans le sondage du 28 juillet par Ifop (de 64 à 54% de bonne opinion) : il s’agit là de la polémique ayant coûté (pour le moment) le plus cher à Macron en terme de popularité.
L’ironie de ce début de quinquennat, c’est en somme que toutes les postures prises par Macron, censées lui être favorables, se sont retournées contre lui. De même que la posture de « Président Jupitérien » s’est transformée à l’épreuve du réel en posture de Président tyrannique, la posture de Président cool, branché, jeune et social-libéral (ersatz de Barack Obama) s’est transformée en posture de Président-banquier arriviste dédaignant les pauvres gens. La polémique de la réduction des APL de cinq euros couplée à une réduction de l’ISF pour les plus riches rassemble le centre et la gauche, ainsi que la majeure partie des Français, ne comprenant pas ces décisions à priori injustes. Le manque de communication de la part des ministres, le manque d’explication et de pédagogie face aux Français fait également vivement réagir le Président lui-même, qui s’écriera (selon Le Canard Enchaîné) :
C’est une connerie sans nom ! […] Pas la peine de se retrouver dans des débats complètement dingues qui n’ont fait l’objet d’aucun engagement !
La victime collatérale de ce début de mandat est sans doute la Première dame Brigitte Macron qui se retrouve pointée du doigt par une partie des Français en ce qui concerne le débat sur le statut de Première dame et la Charte de Transparence. Une pétition rassemblant 240 000 signatures a même été créée, les signataires craignant que ce nouveau statut de Première dame à l’américaine ne coûte de l’argent aux contribuables. Malgré les propos rassurants de Mme Macron, cette énième polémique a priori injustifiée est le symptôme prouvant que les Français sont désormais méfiants face au Président, et qu’ils ne le suivent plus avec autant d’enthousiasme que durant la campagne. Également le signe du début d’un Macron-bashing aveugle ?
Une rentrée synonyme de contestation sociale
Critiqué de toutes parts, le Président semble plus isolé que jamais au sein de sa (fragile) majorité. Lors du Conseil des ministres de rentrée du 28 août dernier, il a été principalement question de mettre en chantier la réforme de la Loi Travail. Ce sujet, sensible au possible, rassemble l’opposition de gauche et les syndicats. Le 12 septembre prochain, plusieurs grandes manifestations partout en France, organisées par la CGT-FO, défieront le pouvoir en demandant la fin du « démantèlement du code du travail ». Mais le gouvernement organise la riposte : déjà 22 millions d’euros de gaz lacrymogènes ont été achetés pour contrer les manifestants violents, selon Marianne. De même, le 23 septembre, à l’Assemblée nationale, l’opposition de gauche (Parti Socialiste, France Insoumise et députés Communistes) s’alliera pour contester la ratification des ordonnances Macron, qui doivent faire office de lois.
L’ordonnance, c’est une sorte de 49-3 administro-étatique
Christophe Barbier, BFMTV, 22 août 2017.
C’est donc bien la question de la réforme du code du travail qui cristallise toutes les critiques envers le Président, et le dialogue avec les Français semble impossible. Lorsque Emmanuel Macron loue la flexibilité dans le monde du travail, l’opposition de gauche et les syndicats répondent que la loi ne fera qu’accentuer la précarité des salariés. Un dialogue de sourds entre le Président et le pays, nourri par l’opposition, accentue le malaise ambiant. Le gouvernement compte alors sur la force pour faire passer la loi, noyau dur du projet porté par le chef de l’Etat. On peut donc prévoir une baisse de popularité accrue du Président dans les mois à venir. Les bonnes nouvelles sont même occultées, minimisées. Les signes de relance économique, la baisse du chômage en juin, sont vite remplacées par de nouvelles polémiques gouvernementales. Emmanuel Macron, en vacances à Marseille, prépare la riposte en polissant son image.
L’interview bon enfant de sa femme dans « Elle », sa visite aux joueurs de l’OM… Le Président se montre non plus comme un monarque surpuissant, accueillant en grande pompe Vladimir Poutine à Versailles, mais comme un homme comme les autres, proche des gens. Est-ce une bonne idée que de perpétuer l’image de « Président normal » que M. Hollande avait voulu donner de lui-même ? Emmanuel Macron, en cette fin de vacances, semble hésiter entre la posture Jupitérienne et la posture paternaliste, proche du peuple, et ce au risque de flirter avec le populisme. Il est à la fois le successeur de François Mitterrand, Président-roi dédaignant les affaires courantes et préférant s’inscrire de son vivant dans la grande Histoire, et celui de François Hollande, Président normal répondant de bon gré aux questions des journalistes, se montrant proche des gens. Le défi de la rentrée pour le chef de l’État est donc de régler cette ambivalence haïe des Français et incarnée par le fameux “en même temps” cher à M. le Président.
Emmanuel Macron a débuté le 23 août une mini-tournée européenne pour régler notamment la question des travailleurs immigrés. La diplomatie, voilà ce qu’affectionne le plus le Président : un retour aux sources pour se donner du courage en vue de la rentrée prochaine.
image de couverture : © Stephane Cardinale – Corbis