Pourquoi étouffer la Corée du Nord de sanctions est inutile ?
Ce vendredi, un septième train de sanctions économiques a été adopté par le Conseil de sécurité des Nations Unies, suite aux deux tirs balistiques effectués par Pyongyang le 3 et le 28 juillet. La Corée du Nord ne peut dorénavant plus exporter de produits issus de la pêche, du charbon et des minerais. Une perte d’un milliard de dollars.

Depuis la fin de la guerre de Corée, les États-Unis imposent des sanctions financières à la Corée du Nord. Si elles ont été allégées par le Président Clinton dans l’objectif de renouer le dialogue, M. Bush les a accentuées à partir de 2001, dans le cadre de sa politique de lutte contre le terrorisme. Figure de l’ « Axe du mal », les sanctions onusiennes pleuvent sur Pyongyang, tout particulièrement depuis 2006.
Soixante ans de sanctions économiques, pour quel résultat ? Les tirs balistiques se succèdent, et le régime nord-coréen n’a jamais paru aussi menaçant. Si le pays a connu une famine dramatique dans les années 1990, causant entre 1,5 et 3,5 millions de morts, cela n’a pas remis en question le pouvoir de la dynastie régnante.
Au contraire, les réformes de « libéralisation » menées par Kim Jong-Un, le petit fils de Kim Il-Sung, Président Éternel, fondateur de la République populaire de Corée du Nord, semblent pour l’instant porter leurs fruits. Selon la Banque de Corée, installée à Séoul, le pays connaîtrait une croissance économique de 3,9%. Philippe Pons écrit dans Le Monde :
Aujourd’hui, il [le redémarrage économique] est amorcé. En témoigne une plus grande variété des produits fabriqués localement. Phénomène nouveau : on trouve désormais plusieurs articles pour un même produit de consommation courante, signe d’un début de concurrence.
Philippe pons, envoyé spécial pour le journal le monde
Un nécessaire retour au dialogue
Peut-on alors dire que les sanctions n’ont aucune utilité ? Ce serait probablement une erreur d’être si catégorique. Malgré tout, depuis soixante ans, aucune avancée significative sur le dossier nord-coréen n’est à célébrer. Le constat est là : cette politique ne fonctionne pas. Précisément, le rejet de Pyongyang par le reste du monde ne fait qu’amplifier la légitimité de la propagande étatique. En effet, le discours de Kim Jong-Un repose sur une identification claire de l’ennemi comme voulant porter atteinte au régime, et détruire la Corée du Nord. Une sorte de :
Voyez, si je ne vous protège pas, nous risquons d’être envahis
D’autant plus qu’il y a un précédent : l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003. Le jeune dictateur et son programme nucléaire, se pose donc en seul et ultime rempart contre un ennemi identifié et diabolisé depuis longtemps par la propagande nord-coréenne. Imposer de plus en plus de sanctions rend donc finalement « service » au régime de Pyongyang, au lieu de le discréditer aux yeux de la population.
Une reprise du dialogue et une désescalade doit être envisagée. La meilleure façon de couper l’herbe sous le pied du régime est de lui saper son argument principal : la diabolisation de l’ennemi. Si ce dernier fait plus d’efforts pour proposer des négociations, s’engage à ne pas intervenir en cas de normalisation des relations et à respecter l’intégrité territoriale de la Corée du Nord, le régime oppressif de la dynastie Kim n’a plus lieu d’être.
D’ailleurs, tous les pays qui ont une frontière terrestre avec la Corée du Nord semblent l’avoir compris. Beijing, allié tacite de la Corée du Nord depuis sa fondation n’a accepté les sanctions de vendredi qu’à la condition d’une reprise du dialogue, et Séoul accorde une priorité à la détente avec son voisin. La Corée du Sud a en effet élu un nouveau président, Moon Jae-In de centre-gauche favorable au dialogue.
Un équilibre est à trouver, pour se désengager d’une politique qui n’a fait qu’empirer la situation. Trop de sanctions amènent naturellement la Corée du Nord à refuser toute proposition de sa voisine du Sud, comme elle l’a fait hier, alors que la ministre Kang Kyung-Wha a tendu la main à Pyongyang pour
soulager les tensions dans la péninsule et sur une nouvelle réunion des familles séparées par la guerre de Corée.

D’un autre côté, il ne faut pas, en abandonnant toutes sanctions, être dupes du jeu de Kim Jong-Un.
Un grand pas serait fait, si les États-Unis et les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU acceptaient de ne plus faire dans le tout-répressif. Mais au vu de la personne qui occupe la maison blanche, ce ne sera certainement pas une mince affaire.
image de couverture : © Eric Lafforgue/Art in All of Us