Baisse des APL : pourquoi ça fait mal ?
-5 €
chaque mois ou comment le gouvernement fait le choix de la précarité pour la jeunesse. 6,3 millions de foyers sont aujourd’hui bénéficiaires des APL – ou aides personnelles au logement, qui englobent l’aide personnalisée au logement (également connue sous l’acronyme d’APL), l’allocation de logement familial (ALF) et l’allocation de logement social (ALS). Parmi elles, 800 000 (au premier trimestre 2017) sont des étudiants.

Le 22 juillet dernier, le gouvernement d’Édouard Philippe a annoncé une baisse mensuelle de 5 euros sur les APL, provoquant immédiatement une vive réaction de la part des premiers concernés.
Or, 5 euros par mois, ce n’est pas rien lorsqu’on est étudiant.e. Nous n’avons pas tou.te.s la possibilité de travailler en parallèle de nos études : certaines filières (comme, par exemple, les classes préparatoires ou les double-cursus) sont très chronophages, autant en nombre d’heures de cours qu’en nombre d’heures de travail nécessaires. Et même lorsque cela est possible, comment nous, étudiant.e.s, sommes-nous supposé.e.s étudier, justement, et obtenir des résultats satisfaisants si nous sommes dans l’obligation de travailler 20 heures par semaine en plus de tout le reste ? D’après une étude de l’INSEE, les étudiant.e.s salarié.e.s travaillant plus de 16h par semaine ont un taux de réussite aux examens de 37,9%, contre 55,8% pour celles et ceux qui travaillent moins de 16h hebdomadaires et 66% pour les étudiant.e.s non salarié.e.s. Si certain.e.s d’entre nous le font, travailler en plus de ses études n’est pas une possibilité pour tou.te.s, et demeure un facteur d’échec aux examens.
5 euros par mois, c’est, comme le faisait pertinemment remarquer Alexis Corbière en séance à l’Assemblée le 26 juillet dernier,
La possibilité de se nourrir pendant quelques jours pour les plus démunis.
Alexis corbière, député france insoumise
5 euros, c’est plusieurs paquets de pâtes, des conserves, du pain de mie. 5 euros, c’est la possibilité de ne pas avoir à choisir entre payer son loyer et se nourrir. C’est la possibilité pour de nombreuses personnes d’avoir un toit au-dessus de leur tête, parce qu’on ne choisit pas toujours où l’on vit : les emplois, les universités se trouvent regroupés au sein des métropoles, entraînant de fait une nécessité de se loger à proximité. Or, c’est également dans les métropoles que l’on trouve les loyers les plus chers.
Et nous n’avons pas tou.te.s des parents en mesure de nous aider : bien souvent, les prix des loyers dans les grandes villes sont largement au-dessus des moyens des moins aisés. Les meilleures universités, les meilleures CPGE, les meilleurs BTS, les meilleures écoles se trouvent pour la plupart dans des grandes villes – par exemple, selon le classement 2017 de L’Etudiant, 8 des 10 meilleures prépas ECE sont à Paris ou en proche banlieue (Versailles et Rueil-Malmaison), tandis que les deux autres sont à Lyon. Comment expliquer à des élèves qu’ils ou elles ne pourront pas faire les études auxquelles leurs résultats scolaires les autorisent à accéder en raison d’un manque de moyens pour payer un loyer en plus ? L’esprit des APL est celui-ci : aider ceux et celles qui ne pourraient pas se loger autrement, en augmentant leur budget.
Mais au-delà de l’aspect purement pratique de cette réforme, déjà conséquente puisqu’elle pénalise des millions de personnes, son aspect symbolique est également fort.
En théorie, la baisse des APL est censée entraîner une baisse proportionnelle des loyers. C’est d’ailleurs ainsi que la présente le gouvernement Philippe : la fin des propriétaires qui s’enrichissent aux dépends de leurs locataires. Une bien belle idée, en somme : retrouver des loyers à des prix décents, empêcher les propriétaires de s’enrichir toujours plus tandis que leurs locataires s’appauvrissent davantage, c’est un idéal louable. Mais entre la théorie économique et la réalité, il y a une différence : la précarité. Une baisse des APL n’entraînera pas instantanément une baisse des loyers, puisque cette dernière ne sera pas encadrée par l’État – par ailleurs, la loi ALUR sur l’encadrement des loyers à Paris a eu un impact qu’on ne peut réellement mesurer, tandis qu’une étude réalisée par la start-up Home’n’Go conclut que 45,7% des propriétaires ne respectent pas l’encadrement qui leur est (en théorie) légalement imposé.
Or, entre le moment où la mesure entrera en vigueur, c’est-à-dire octobre 2017, et le moment où les loyers commenceront à baisser, c’est 6,3 millions de foyers qui vont subir les conséquences de ces 60€ de baisse annuels. La volonté énoncée par le gouvernement tient en une phrase : « tout le monde doit faire un effort ». Dans le même temps, le gouvernement souhaite alléger l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) qui concerne les foyers dont le patrimoine net excède 1,3 millions d’euros. Prendre davantage aux plus défavorisés pour alléger l’impôt qui pèse sur les 0,9% des foyers les plus riches de la population n’est pas de l’ordre de l’effort de chacun pour le bien de tous : il s’agit, une fois encore, de nourrir les inégalités sociales au profit des classes supérieures, prouvant ainsi à quel point la « nouveauté » Macron s’appuie en réalité sur des principes aussi vieux que la société elle-même. On peut d’ailleurs légitimement se demander si le fait que le président de la République ait – supposément – qualifié la réforme de « connerie sans nom » n’est pas juste une autre pirouette destinée à se sortir de ce mauvais pas ayant provoqué une chute vertigineuse de sa cote de popularité : on peine à imaginer que le gouvernement qu’il a lui-même choisi par l’intermédiaire de son premier ministre ait pu imaginer cette réforme dans son dos, et sans son appui.
image de couverture : © Gabikai pour L’Alter Ego/APJ