Macron fait un pied de nez à l’Italie en nationalisant STX France : maladresse stratégique ou communication politique ?
Le 27 juillet dernier, le gouvernement annonce la nationalisation de STX France au nez et à la barbe de l’industriel italien Fincantieri. Un accord faisant l’unanimité avait pourtant été trouvé entre le Président François Hollande et les transalpins, au printemps dernier. Cette volte-face du Président Emmanuel Macron surprend les opinions française et italienne et met en doute ses projets économiques et politiques. Les échanges avec l’Italie s’annoncent désormais sous tension.

80 Millions d’€
Jeudi dernier, Bruno Le Maire proclame la nationalisation temporaire des chantiers navals de Saint-Nazaire, pour une somme raisonnable de 80 millions d’euros. Le ministre de l’économie y souligne la qualité de cet “outil industriel unique”. L’objectif est de parvenir à une répartition équitable du capital de STX France entre investisseurs français et italiens. Si la décision semble être accueillie favorablement par l’opinion publique française, les raisons qui ont poussé à revenir sur l’accord de l’ancien Président Hollande demeurent floues. Les soutiens et même l’opposition de la précédente majorité avaient pourtant salué son habileté sur le dossier.

Un premier accord sous la forme d’un compromis européen
En janvier 2017, le tribunal de commerce du district central de Séoul décide, suite à la faillite du groupe coréen STX, de mettre en vente la filiale française. Le groupe italien Fincantieri se positionne rapidement pour reprendre ce que beaucoup considèrent comme un fleuron de l’industrie française. L’Etat possède alors un tiers des actions de STX France et peut faire jouer par conséquent son droit de préemption sur le reste des actions. Face à une menace crédible de nationalisation, les transalpins doivent se contenter d’une entrée au capital de STX France de manière minoritaire (entre 45% et 49%). Alors que les circonstances laissent à penser qu’un investisseur public italien pourrait s’ajouter pour devenir l’actionnaire majoritaire, le groupe public français de construction navale militaire DCNS crée la surprise. Il permet à la France de détenir 45% du capital des chantiers navals de Saint-Nazaire.
Le Président Hollande est alors en position de force pour négocier des conditions : un droit de veto, le maintien des emplois du bureau d’études et des sous-traitants traditionnels de la filiale. Ce compromis est loué pour ses avantages. Il renforce en effet la coopération européenne, dans l’optique d’un groupe européen capable de faire face à la concurrence mondiale (Chine, Turquie…). Avec la perspective à terme d’une défense européenne fédérée, cet accord est riche de sens. En outre, l’ancien chef d’État assure le maintien de l’emploi à Saint-Nazaire ; le territoire français conserve ce pôle industriel dynamique.

Finalement, les partis s’accordent : 48% des actions sont détenues par Fincantieri, 7% par une fondation transalpine et 45% par les pouvoirs publics français.
La nationalisation : une décision étonnante ?
Le Président Macron, fraîchement élu, a rendu une première visite au personnel de STX France le 31 mai dernier. Il y évoque une renégociation de la répartition du capital car il juge que la précédente est trop favorable aux investisseurs italiens. Ce changement de stratégie peut s’expliquer par plusieurs raisons. Tout d’abord, Saint-Nazaire demeure le seul site français capable de prendre en charge la construction de grandes coques pour navires militaires. La perte des chantiers constituerait une faiblesse dans le complexe industrialo-militaire français. Cet argument souverainiste est complété par les demandes des syndicats de Saint-Nazaire. Ces derniers craignent en effet un transfert des compétences de STX France vers l’Italie ou la Chine, où Fincantieri a créé une co-entreprise. Une nationalisation apparaît alors logique dans une telle situation.

D’un point de vue historique, l’intervention de l’État dans le domaine industriel est une habitude, que le gouvernement soit de droite ou de gauche. L’ancien professeur d’histoire économique de l’IEP de Bordeaux, Hubert Bonin, décrit cette pratique comme “une tradition républicaine depuis 1848”. On se souvient ainsi des grandes nationalisations du Président François Mitterrand dans le cadre de son programme commun de la gauche mais aussi en 2004 de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’économie, qui fit entrer l’État dans le capital d’Alstom.
Ambiguïté sur les intentions du Président Macron.
Le chef de l’État se présente plutôt comme un libéral assumé et ses expériences en tant que ministre de l’économie du Président Hollande peuvent le confirmer (PSA sauvé par des investisseurs chinois, Alstom cédé aux Américains, pas de nationalisation de Florange en Moselle). La nationalisation de STX France semble en apparence une aubaine stratégique pour l’industrie française. Certains experts sont dubitatifs. Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, commente :
La décision du gouvernement ne relève en rien d’une stratégie industrielle. Le gouvernement n’a pas du tout parlé de construire une filière cohérente faisant de la France une championne des chantiers navals.
La nationalisation des chantiers navals semble donc contradictoire avec la stratégie et les convictions du Président Macron.
Une telle décision peut être interprétée sous un autre angle. Réputé habile en communication publique, on peut voir dans cette décision une volonté de satisfaire l’opinion publique. À une heure où l’exécutif dégringole dans les sondages de popularité, le chef de l’État propose une oreille attentive aux syndicats de Saint-Nazaire et prend une décision en leur sens. Alors que le Palais Bourbon résonne des débats autour de la Loi Travail, l’intervention du gouvernement peut être vu comme un exemple de dialogue social entre les partenaires sociaux et les autorités. Si on en croit le récent sondage des Échos (36% d’opinions favorables) et les réactions acerbes des Transalpins, l’efficacité de cette manœuvre semble assez limitée
Européisme à deux vitesses.
“Une gifle”, “impolitesse de Macron vis-à-vis de l’Italie” peut-on lire sur la Une du quotidien italien Corriere della Sera. De l’autre côté des Alpes, les critiques pleuvent suite à l’annonce de la nationalisation de STX France. L’éditorialiste Massimo Nava ne mâche pas ses mots :
Le jeune Macron ressemble davantage à un produit de la vieille France, d’un système dans lequel le nationalisme n’est pas un étendard mais un état d’esprit.
Cette attaque veut rappeler l’espoir européen créé par la victoire d’Emmanuel Macron face à Marine Le Pen en mai dernier. Un espoir qui semble déçu chez les Italiens. Alors qu’il se présente comme un libéral assumé et un européen convaincu, Emmanuel Macron voit se fissurer son aura au sein de l’Union Européenne. Désabusés, certains médias pointent du doigt les investissements déséquilibrés entre les deux pays. Si on en croit une étude du cabinet KPMG publiée début 2017, 185 entreprises italiennes appartiennent à des investisseurs français (pour un montant de 50 milliards d’euros), alors que les groupes italiens contrôlent seulement 97 sociétés françaises (pour 7,5 milliards d’euros). Cette différence se pare d’un goût amer quand on sait que l’État français ne s’était pas opposé aux Coréens lors de l’achat des chantiers navals…
L’Italie a ainsi le sentiment de se faire doubler par un de ses supposés alliés européens. Romano Prodi, ancien Premier Ministre italien, dénonce dans une tribune
le manque de solidarité honteux de la part des partenaires européens
en matière d’immigration mais aussi désormais en matière d’économie. Le journal Corriere della Sera renchérit en analysant :
les relations franco-italiennes à l’un des niveaux les plus bas de ces dernières années.

La nationalisation de STX France prend donc une ampleur bien plus complexe que pressentie. Cette décision pose le problème de la cohérence dans le projet politique et économique du chef de l’État. Comment le Président Macron peut-il appliquer un patriotisme économique et en même temps assumer l’attitude des groupes français vis-à-vis des entreprises étrangères ? Comment peut-il se prétendre un artisan de la construction européenne et en même temps prendre en traître un partenaire aussi proche que l’Italie ?
Bruno Le Maire, en déplacement à Rome, et son homologue italien, ont annoncé ce mardi que le problème du capital des chantiers de Saint-Nazaire serait résolu au sommet franco-italien le 27 septembre prochain. Espérons une solution cohérente et constructive.
image de couverture : © Alain DENANTES/Gamma-Rapho/Getty Images