Une mise à jour malsaine et oppressante ou un service aussi ludique que pratique ?
Depuis son lancement le 21 juin dernier, la nouvelle fonctionnalité divise et suscite la méfiance.

250 millions $
La date choisie pour son lancement n’était sans doute pas anodine. Le 21 juin dernier, suite au rachat de Zenly* pour environ 250 millions de dollars, Snapchat officialisait la mise en place d’un service de géolocalisation intitulée « Snap Map » : à l’aide d’une carte du monde particulièrement précise, chaque utilisateur peut désormais partager sa position géographique à un instant donné tout en bénéficiant de celle de ses contacts Snapchat, dans la mesure où ceux-ci ont activé l’accès. Les individus sont physiquement représentés par des « Bitmoji », petites figures souriantes se conformant au moindre déplacement de l’utilisateur. Alors que les vacances ont commencé pour une grande majorité d’entre nous, les Bitmoji peuvent donc s’adonner aux joies des voyages et arpenter villes, régions et paysages des quatre coins du globe pour les plus chanceux. D’où la stratégie de lancement pré-grandes vacances, favorable à une localisation plus exotique qu’à l’ordinaire.
Cependant, cette mise à jour est loin de faire l’unanimité. Certains y voient un afflux de l’emprise du réseau social sur notre intimité, d’autres y voient une fonctionnalité ludique, pratique, et qui de toutes manières, n’oblige en aucun cas les utilisateurs à s’en servir.
Quel est l’avis des jeunes, premiers intéressés, quand l’on sait que 71 % des utilisateurs de Snapchat ont moins de 25 ans en 2016 ? Tour d’horizon de leurs différents arguments, dangers et réponses.
Des dangers potentiels à multiples facettes
Flippant la mise à jour snapmap ils savent même ce que je fais pic.twitter.com/8EzLvjyxvu
— soy yo imux (@ImadDoubleB) July 3, 2017
En ce qui concerne la Snap Map, Emma est tout à fait catégorique. L’étudiante de 19 ans à la Sorbonne-Nouvelle, pourtant adepte des réseaux sociaux, n’utilise pas la mise à jour et s’en justifie :
Mais où est passée notre intimité ? Déjà que l’on en sait trop sur les gens avec les autres réseaux sociaux, je trouve que ce nouveau truc sur Snapchat empire la situation…
EMMA, 19 ANS
Quelle est la limite ? J’imagine que d’ici quelques années, des réseaux sociaux permettront de déterminer à la minute près quelles sont nos activités, avec qui nous les pratiquons, quelles sont nos états-d’âmes du moment, nos émotions, nos ambitions professionnelles. Chaque individu aura une étiquette préétablie, une sorte de CV sentimental disponible aux yeux de tous.
TOM, 18 ans
Outre le danger de perte progressive de notre intimité que mettent en évidence Emma et Tom, l’aspect de la sécurité des individus mérite d’être souligné, et en premier lieu celle des mineurs, souvent désinvoltes avec les précautions à prendre. Même si aucun chiffre officiel n’est disponible, on estime en 2017 qu’environ un quart des utilisateurs de Snapchat ont moins de 17 ans. Si bien que certaines administrations ont réagi à l’échelle locale et ce, notamment dans le monde anglo-saxon.
Le 26 juin dernier, au sud d’Auckland, la police de la région néo-zélandaise de Waikato a publié un contenu sur Facebook afin de sensibiliser les plus jeunes aux dangers auxquels ils peuvent faire face :
« Pour les parents dont les enfants ont Snapchat, il serait également le bon moment de leur parler, afin de s’assurer qu’ils comprennent les risques qu’engendre le fait que n’importe qui ait accès à leur position. Plus important encore, soyez attentif à ceux à qui vous partagez votre géolocalisation, car certaines personnes peuvent savoir ce que vous faites de votre vie à n’importe quel moment, où vous allez à l’école et où vous passez votre temps […] Si vous ne voulez pas que les gens sachent où vous vivez et les endroits où vous allez tout au long de la journée, nous vous suggérons fortement de passer en mode Ghost. »
Sur la sécurité, même si Snapchat signale que la majorité des interactions se déroulent entre amis proches, je ne suis personnellement pas rassuré. Si je suis loin de chez moi je ne pense pas être à l’abri d’un éventuel cambriolage. La Snap Map indique les adresses. Je sais que j’ai confiance en mes amis mais on ne sait jamais, ma géolocalisation peut toujours fuiter et finir entre les mains de personnes malhonnêtes.
poursuit Tom
Être victime d’une mise à jour que l’on a nous même plébiscité. Telle est l’ironie du sort.

Le mode Ghost (géolocalisation non partagée) semble être une alternative crédible à toutes les critiques. Néanmoins après quelques minutes d’analyse sur la fonctionnalité, celle-ci apparaît comme étant davantage une fausse réponse aux problèmes : pour utiliser la carte, Snapchat doit pouvoir accéder à notre localisation et ce même en mode Ghost. De plus il est peu imaginable qu’à long terme ce mode survive, il constituait un préalable obligatoire pour Snapchat en terme de sécurité et on peut largement penser que d’ici quelques mois, passé les polémiques, Snapchat supprime totalement cette possibilité. La start-up va progressivement inciter ses utilisateurs à se servir constamment de la géolocalisation.
Le troisième danger relève davantage du relationnel et de la comparaison excessive des individus entre eux sur les réseaux sociaux. Ceux-ci créent un système de mise en concurrence constante entre les utilisateurs. Lequel aura la meilleure destination ? Qui verra son Bitmoji gambader dans une ville mondiale ? Il est largement légitime de penser que celui qui passe ses vacances sur les plages à Miami aura plus de facilité à se servir de la géolocalisation que l’utilisateur qui se contentera en août de la campagne périgourdine : les espaces géographiques sont plus ou moins valorisés. La frustration relative sur les réseaux sociaux n’est bien entendu pas propre à Snapchat, mais ce service de géolocalisation ne fait qu’accentuer le phénomène. Snapchat ne nous rendra toujours que plus triste car nous nous comparerons à ce qui est mieux voire intouchable.
À long terme je pense que le fait de faire balader un Bitmoji dans une ville étrangère prodiguera presque plus de plaisir à certains utilisateurs que la visite de la ville elle-même. Snapchat dit qu’il veut créer du lien social. Hormis de la concurrence et de la jalousie je ne vois pas ce que la Snap Map peut entraîner.
conclu Tom définitivement fervent critique de la mise à jour
https://twitter.com/SimonChampagnne/status/884751737315315712
Une utilisation à relativiser
Un petit sourire en coin, Victoire l’assume totalement : « j’utilise la Snap Map uniquement pour Stalker** un peu ». L’étudiante de 18 ans en classe préparatoire a le mérite de reconnaître directement qu’elle utilise la mise à jour pour espionner quelques personnes, sans savoir si ces mêmes pratiques peuvent la concerner inversement. L’utilisation de Victoire n’est pas malsaine mais naturelle. « Quand l’on a disposition la géolocalisation de nos amis, il est naturel de regarder, mon utilisation est simplement ludique et je pense qu’une très grande majorité de gens se sert de l’application pour s’amuser. Il pourrait y avoir des dérapages comme dans tout réseau social mais dans l’ensemble je pense que l’usage est plutôt sain et il y a très peu d’arrières pensées nuisibles » poursuit-elle.
Snapchat véhicule largement l’idée que la principale fonction de la mise à jour est de faciliter la rencontre entre amis dans un grand évènement où le fait de se rejoindre n’est pas toujours une chose aisée.
On peut voir les positions précises de nos potes, je trouve ça marrant d’autant que c’est pratique pour se rejoindre rapidement. Les gens qui disent que c’est une atteinte à la vie privée je trouve que c’est du cinéma. Si vraiment ça te dérange tu peux très bien supprimer Snap personne ne t’oblige à quoi que ce soit.
ILYES, étudiant en prépa ECE partage totalement cet avis
Je me suis perdue en ville l’autre jour. J’ai pu retrouver mes potes en 10 minutes, chose inimaginable quelques jours avant la mise à jour.
GARANCE, en terminale ES, est sur la même longueur d’onde
Sur le papier, impossible de nier les bienfaits de la géolocalisation : un gain de temps pour retrouver un proche, la pluralité d’images d’événements en libre accès ou encore l’esthétisme de la carte qui tend davantage vers l’atmosphère du jeu vidéo que de celui d’un réseau social. Certes, il y a des dangers, mais l’utilisation d’une grande majorité ne comporte pas de caractère malsain.
Quelle réponse consensuelle ?
De chaque côté des arguments efficaces et légitimes sont mis en avant. Alors comment accueillir cette nouveauté ? Doit-on la discréditer tout de suite ? Doit-on attendre qu’elle se banalise progressivement et qu’elle rentre dans nos habitudes ?
Étudiant en IUT à Sceaux, Raphaël est un habitué des réseaux sociaux. Derrière son discours un peu extrême se cachent sans doute les mots justes :
Je pense que cette Snap Map, il n’y a rien de mieux à faire que de l’accueillir à bras ouverts. En plus, ce n’est pas tellement nouveau : Snapchat reprend le concept de quelques applis qui proposaient déjà ce service sans que cela ne choque personne. Là, cela crée des polémiques car Snap a beaucoup plus d’impact. On a toujours en nous une paranoïa vis-à-vis de la nouveauté mais on finit toujours par s’y habituer et les dégâts qu’elle cause sur nos vies ne sont finalement pas si terribles que ce que l’on s’imaginait en premier lieu. Cela ne sert à rien d’être réticent à la moindre avancée technologique parce que l’on a de toutes façons aucun pouvoir sur elle et vu l’évolution des choses, on devait forcément en arriver là un jour. Et voir les bons côtés de cette Snap Map, c’est déjà un premier pas vers cette acceptation. De toute façon, il ne faut pas se leurrer : on est déjà épié en permanence par toutes sortes d’organismes, donc la Snap Map c’est juste Snapchat qui a décidé de ne plus s’en cacher et de faire profiter aussi les utilisateurs des côtés bénéfiques de la géolocalisation permanente (comme pouvoir savoir où sont ses potes pour les rejoindre, ou découvrir tout ce qui se passe dans le monde en quasi-direct). Je pense que Snapchat a décidé d’arrêter d’être hypocrite avec ses utilisateurs et de ne plus les prendre pour des cons. Finalement tout le monde y gagne.
RAPHAËL, 19 ANS
Marie partage la vision de Raphaël et pointe du doigt les sceptiques :
Tout cela va progressivement entrer dans les normes et par conséquent d’ici quelques générations, ces pratiques seront normales et banales : c’est la définition même de la technologie : une phase de réticence qui précède une acceptation générale. Il faut juste vivre avec son époque et ses spécificités : notre comportement s’y habituera au fur et à mesure.
MARIE, 19 ANS
À les entendre, il suffirait d’attendre que les mœurs évoluent dans le bon sens. Qu’est ce que cela signifie de vivre avec son temps dans notre époque actuelle ? Il s’agira d’accepter les nouveautés et de les subir ? Sur cette question, chacun peut avoir une opinion. Mais si l’on doit y faire émerger une réponse consensuelle, cela serait de laisser passer un certains laps de temps entre la sortie de cette innovation et une utilisation quotidienne. Le fait de déterminer si l’innovation est un vice ou une vertu n’est pas le sujet de cet article.
Mais quitte à faire face à la nouveauté, autant l’accueillir à bras ouverts, tant que la fonction principale de celle-ci ne possède pas de caractère ouvertement hostile ou haineux, ce qui n’est pas le cas de la Snap Map.
Après plusieurs semaines d’existence il est sans doute encore trop tôt pour faire un bilan définitif. La possibilité que la Snap Map suive un phénomène de mode éphémère n’est pas non plus à exclure. L’avenir dira si la fonctionnalité cause toujours de réelles complications et dérives à long terme, ou si finalement une tolérance générale aura peu à peu émergé.
Snapchat numéro 1
Quoi qu’il en soit, la mise à jour ne freine pas la popularité de Snapchat : selon une étude de Piper Jaffray sur 6 500 jeunes (moyenne d’âge de 16,5 ans), depuis le printemps 2016 Snapchat est le réseau social préféré des jeunes devant Instagram et Twitter.
* Start-up française spécialisée dans le service de géolocalisation
** Stalker = espionner
image de couverture : libre de droit