La non-mixité dans le militantisme
C’est au coeur de l’été parisien que se tiendra le Nyansapo Fest, du 28 au 30 juillet 2017, organisé par le collectif Mwasi réunissant des femmes africaines et afrodescendantes, créé en 2014. Le festival accueillera des visiteurs et visiteuses pour des tables rondes et des workshops autour des discriminations subies par les femmes noires en France et en Europe, ainsi que des réflexions sur les théories afroféministes. Le programme promet d’être intéressant, mais ce n’est pas celui-ci qui a attiré l’attention d’Anne Hidalgo, maire de Paris : en effet, le festival afroféministe Nyansapo divisera ses activités en plusieurs espaces, dont 80 % d’entre eux seront non-mixtes. La plupart des moments du festival seront donc réservés aux femmes noires, tandis que d’autres s’adresseront aux personnes noires, aux femmes racisées et qu’une partie sera ouverte à tous et à toutes. Sans surprise, c’est la non-mixité qui a été retenue par la maire de Paris et interprétée à sa guise. De festival afroféministe réservé en partie aux intéressées, on arrive donc à une menace de poursuite judiciaire « pour discrimination » sur Twitter. Étrange changement de paradigme.
Il est vrai que le terme « non-mixité » peut être, à première vue, effrayant. Un espace non-mixte, ça veut dire que tout le monde ne peut pas y avoir accès, et cela signifie surtout qu’un groupe précis de personnes sera réuni sans la participation ou l’intervention d’un autre. Quelle est l’utilité dans le militantisme féministe et anti-raciste de tels groupes ?
La non-mixité est née avec les mouvements de libération des femmes. Réunions, manifestations, meetings : les femmes ont su s’organiser et bâtir leurs luttes dans des situations où elles se retrouvaient entre elles, justement. C’est aussi le cas des ouvriers avec l’émergence de revendications visant à l’obtention de plus de droits au XIXème siècle, ou des Afro-Américains au temps de la Ségrégation. Les réunions non-mixtes peuvent prendre des formes différentes, puisque les participant.es sont choisis par les organisateurs/organisatrices, et elles n’ont pas toutes la même visée – évidemment. Pourquoi décider de ne pas discuter d’un problème de société avec, justement, un échantillon représentatif de tous les membres de la société ?
Tout d’abord parce que c’est idéaliste, voire utopique, de penser que les oppresseurs écouteront les opprimés sans faire de bruit, boiront leurs paroles et ne poseront pas de questions intempestives, perturbant le cours de la réflexion de groupe. C’est comme discuter entre adultes avec un enfant à côté qui demande de l’attention.

Loin de moi l’idée de réduire à ce degré de narcissisme l’intelligence des enfants, qui sont, par bien des aspects, de bien meilleurs orateurs que les détracteurs du collectif Mwasi et leurs amis. Il faut comprendre que les collectifs de lutte organisée pour les droits de groupes en situation de discrimination ont bien souvent une pensée politique ayant dépassé les bases du militantisme. Il est alors compréhensible que lors d’un débat sur la place des femmes afrodescendantes en France aujourd’hui, il soit un peu frustrant d’entendre une voix grave tonner du fond de la salle, couvrant celles des participantes : « Oui, mais les hommes aussi sont victimes de sexisme ! ». Des espaces militants et des espaces d’apprentissage sont dédiés aux questions de base sur le féminisme, la lutte contre le racisme, l’intersectionnalité (l’étude des relations entre les différentes formes de discriminations). C’est alors assez absurde de vouloir se rendre à des réunions non-mixtes sur l’afroféminisme lorsque l’on n’est pas renseigné. Ce serait comme envoyer un/une élève de Sixième au baccalauréat, par exemple. Au-delà de la potentielle et éphémère ignorance, il y a la question de la discrimination. Vous êtes intéressé.e, renseigné.e, vous avez une bouteille d’eau et une bonne dose de bon sens dans votre sac à dos, vous voulez participer à une table ronde sur la communauté noire en étant vous même blanc.he, et on vous refuse l’accès à une telle réunion ? Cela n’a rien de personnel. Les organisatrices et militantes ne doutent pas de la bonne volonté des allié.es*, mais voilà, il y a des choses que l’on ne peut pas comprendre. S’offusqueront alors les fameuses personnes qui « ne voient pas la couleur de peau », ou « peuvent comprendre les femmes parce que j’ai une sœur et une épouse, n’empêche ». Là n’est pas la question. Parler efficacement de ses expériences ou de ses traumatismes en tant que femme et en tant que femme de couleur, ça peut être en parler avec des personnes bienveillantes qui nous comprennent sans exception. De plus, ce genre de remarques minimise les discriminations systémiques et systématiques subies par les femmes et en particulier les femmes racisées. Une réunion officieusement non-mixte dans un meeting Front National et une réunion officiellement non-mixte dans un festival afroféministe, ça n’a pas la même signification. Le débat devient alors plus compliqué : certains argumenteront que la loi française, en 2017, ne discrimine personne et accorde à tous et à toutes les mêmes droits – ainsi, toute exclusion sur un critère ethnique, religieux, de genre ou d’orientation sexuelle est une discrimination. Ne soyez pas celui qui tentera d’expliquer à une femme de couleur ce qu’est la discrimination. Ne soyez pas celle qui dira qu’elle comprend tous les enjeux d’être une femme afrodescendante en France, en ne l’étant pas elle-même. Ne soyez pas celui qui prétend ne pas voir la différence de traitement entre Blancs et personnes racisées, et par conséquent considère que le racisme n’existe plus dans le beau pays d’égalité qu’est la France.
La non-mixité n’est pas une barrière à l’intérêt que l’on peut porter à des luttes qui ne nous concernent pas forcément ;
elle est là pour créer un espace où les concerné.es (ici, les concernées) sont les acteurs/actrices de leur propre lutte. De plus, les plateformes d’information et de militantisme pour les alliés des luttes antiracistes et féministes sont nombreuses ; et
le premier pas pour comprendre la non-mixité et ses enjeux est sûrement d’écouter ce que les concernées ont à dire.
Pour certains, la France est une chance. Sa loi nous place en égaux devant elle d’un point de vue technique. C’est cependant un privilège de prétendre que l’égalité est chose faite, mais aussi de condamner des espaces de parole parce que l’on n’en n’a soi-même pas besoin. Les Blancs en France ont accès à tous les espaces, que ce soit dans le milieu de la politique, de la culture, de tous les secteurs du travail, et y sont souvent accueillis sans discrimination ni préjugés. C’est pourquoi il est important de créer ces espaces non-mixtes, qui rendent la formation d’un projet militant, politisé ou non, plus fluide et non gangrénée par des rapports de force malsains. Si la France se revendique pays de la démocratie, de la littérature, de la discussion, il est important qu’elle favorise le débat sous toutes ses formes, afin d’affiner et d’évoluer quant à sa conception d’une société égalitaire.
*Terme utilisé dans le milieu militant désignant toute personne n’étant pas concerné.e par la discrimination mais souhaitant prendre part au débat en soutenant les concerné.es.
image de couverture : © collectif mwasi / facebook