Retour sur le scénario abracadabrantesque des élections législatives
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Nous ne rappelons plus les résultats, hués de tous bords par les représentants PS et LR : 57,4%, un taux d’abstention jamais observé sous la Ve République. « Dégagisme », « raz-de-marée En Marche ! »… Ces formules ont été entendues et ré-entendues des millions de fois, sans pour autant être véritablement explicitées. Comment l’expression de la souveraineté populaire, pilier de la démocratie, a-t-elle pu être aussi violemment méprisée ?
C’est sur le terrain, après interrogation des premiers concernés, que la réponse se trouve. Et c’est dans l’Aube que je me suis rendue, où les législatives dans la première circonscription ont mené à la seule triangulaire de France au second tour. Après décorticage des résultats, entretien avec un candidat, échanges avec la population, j’ai essayé d’expliquer les mouvements électoraux représentatifs de ceux observés à l’échelle nationale.
Terrain d’enquête
Rendez-vous donc dans la première circonscription de l’Aube, un fief à priori acquis pour Les Républicains, où le député sortant Nicolas Dhuicq se représentait pour briguer un troisième mandat. L’Aube est une région rurale où une certaine attirance pour les extrêmes se fait ressentir, majoritairement dans les villages. Depuis 1978, les élections législatives ont toujours conduit un député de droite à Matignon : UDR jusqu’en 2002 puis UMP, parti renommé LR en 2015. Argument supplémentaire à l’évidence d’un vote LR aux législatives ; François Baroin, chef de file des candidats LR-UDI aux législatives, est maire de Troyes depuis 1995 et sénateur de l’Aube depuis 2014. Et pourtant, cette année, les évidences n’ont plus aucune valeur de prédiction fiable…

Protagonistes
Nicolas Dhuicq : député sortant de la 1e circonscription de l’Aube et candidat à sa réélection (LR)
François Baroin : maire de Troyes, sénateur de l’Aube, chef de file des candidats LR-UDI aux législatives
Michel Bach : candidat aux législatives de la 1e circonscription de l’Aube (LFI)
Grégory Besson-Moreau : candidat élu aux législatives de la 1e circonscription de l’Aube (LREM)
Premier constat : SA-TU-RA-TION
À l’image de l’abstention à l’échelle nationale, celle-ci représentait près de 48% pour le premier tour. Un taux particulièrement important quand on sait l’importance décisive des législatives cette année. Ras-le-bol, défaitisme, jem’enfoutisme… Quelle bête est venue piquer les Français pour les pousser à rester chez eux ? Simple hypothèse : une overdose de politique ?
Témoignage d’une Troyenne, représentante de cette France restée silencieuse :
Ça fait vingt ans que j’ai le droit de vote, et c’est la première fois que je ne me suis pas déplacée. Je n’ai plus confiance en personne, on n’en peut plus de toutes ces histoires.
Cette même personne me confiait avoir des doutes sur un lien entre les médias et le parti d’Emmanuel Macron La République en marche… La théorie du complot remise au goût du jour.
C’est également ce que confirme Michel Bach, candidat La France insoumise dans la première circonscription : « Sur les marchés, les gens nous disaient « Laissez-nous. » »
La politique en serait-elle venue à dégoûter les Français ?
Deuxième constat : Abdication des Insoumis
On constate notamment une désertion de l’électorat jeune, celui qui a permis à la vague Mélenchonniste de s’éveiller pendant la campagne présidentielle. L’électorat jeune, soit ne s’est plus senti représenté du fait de l’élimination de Mélenchon aux présidentielles et a rapidement séché l’échéance législative, soit s’est mobilisé et constitue le cœur des soutiens à LFI.
Bach avoue : « Mélenchon y a cru, et il avait raison. ». La bataille des présidentielles perdue, les Insoumis ont signé l’armistice avant les législatives. Alors que Mélenchon avait réuni 22 500 voix dans l’Aube, les prétendants de La France Insoumise au poste de député dans les 3 circonscriptions du département ont à eux trois obtenu quelque 8 500 voix.
Michel Bach explique les résultats obtenus par ce défaitisme. Ce dernier ne s’est d’ailleurs pas positionné pour le second tour.
Troisième constat : Le désintérêt des indécis dû au système institutionnel
Selon Michel Bach, il n’y avait plus de raison d’aller voter après les présidentielles, le système politique actuel offrant naturellement une majorité au président élu. « Nous faisons face à une crise institutionnelle », me confiait-il. En effet, depuis le passage du septennat au quinquennat en 2000, le calendrier des élections législatives s’est aligné avec celui des présidentielles. Résonnant de façon logique, les Français ont toujours trouvé cohérent d’offrir au parti de l’exécutif une majorité sur le plan législatif, afin de ne pas consacrer un mandat à l’inaction et à une opposition parlementaire systématique. Ce serait donc une implicite acceptation de la situation, c’est-à-dire un dévouement total à Emmanuel Macron pour la majorité de la population, qui aurait laissé penser les indécis que leur vote deviendrait invisible face au flot de bulletins LREM.
Résultats : Quand le bastion change de camp
Pas moins de 13 candidats présents au premier tour, dont les résultats ont conclu à la seule triangulaire de France entre le candidat La République en marche Grégory Besson-Moreau en tête avec près de 30% des suffrages exprimés, suivi de Dhuicq au coude à coude avec Bruno Subtil représentant le FN, à 25%. Moins 10 points pour le député sortant par rapport aux législatives de 2012… Le second tour a laissé traîner le suspense jusqu’au bout pour finalement annoncer l’élection du candidat LREM avec 36,46% des voix, suivi de Dhuicq à 35,3%, sans oublier l’abstention moyennant les 50%. Comment expliquer ce résultat, tandis que Marine Le Pen était arrivée en tête dans l’Aube au premier tour des présidentielles avec 30% des voix, suivie de François Fillon à 23% ?
Raz-de-marée : Phénomène brutal et massif qui bouleverse une situation sociale ou politique (Dictionnaire Larousse)
Discussion sur le trottoir de la salle polyvalente où se déroulait le scrutin à Piney, le matin du 18 juin, village de la première circonscription :
De toute façon il faut virer Dhuicq, on ne va pas voter FN, donc il ne reste plus que Besson-Moreau.
« VIRER ». C’est ici que le néologisme « dégagisme » prend tout son sens. Nicolas Dhuicq était connu pour être très, voire un peu trop, à droite. Quelques exemples : En 2014, avec 6 autres députés, ce dernier a voté contre la résolution prévoyant l’inscription de l’IVG comme droit fondamental dans la constitution. On lui doit également des rapprochements quelque peu déconcertants entre homosexualité et terrorisme, ou encore l’accusation tournée contre Emmanuel Macron ; « un agent des États-Unis œuvrant pour les intérêts des banques » durant la campagne présidentielle. Un dernier pour la route : il a annoncé voter blanc au second tour de l’élection présidentielle. On saisit le personnage.
La fin d’un système archaïque
Installé confortablement depuis 10 ans dans son siège de député, Dhuicq s’est vu jeté à la porte et rapidement remplacé par un chef d’entreprise, Nicolas Besson-Moreau, qui fait son entrée dans la vie politique. Cependant… À en croire les témoignages, le vote Besson-Moreau s’est davantage présenté comme un vote par défaut que par conviction : on retrouve le même schéma que pour Macron au second tour des présidentielles. Néanmoins, la volonté de faire table rase et d’insuffler un vent nouveau reste la priorité des Français, après un quinquennat dont le bilan est jugé similaire au vide intersidéral. Les dynamiques Le Penniste et Mélenchonniste se sont rapidement tues pour laisser sa chance au Président Macron. Résultat : Une assemblée renouvelée à presque 75%, laissant présager quelques inquiétudes. Bien ou mal ? Fraîcheur ou incompétence ? Comme le déclarait Raymond Aron :
Le choix en politique n’est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable.
C’est peut-être la raison qui a tout simplement prévalu sur la colère d’un pays en difficulté. Une dernière chance dirons-nous. En attendant, toute la France semble s’être mise en marche… mais dans quelle direction ?