Une copie à revoir !
L’Assemblée nationale a été élue par 42,64% des français inscrits sur les listes électorales. C’est peu, c’est un record et ça veut dire quelque chose. Non seulement les gens ne veulent plus voter, mais surtout voter ne semble pas avoir d’intérêt. Si l’abstention est si forte, notamment par la désertion de la jeunesse et des classes populaires, c’est parce que le vote n’est pas rentable. En effet, selon l’IFOP, les 18-34 ans sont ceux qui votent le moins, avec plus de 40% d’abstention. De même, toujours selon l’IFOP, 77% des sondés de catégorie socioprofessionnelle supérieure (professions libérales ou cadres) ont déclarés vouloir voter au premier tour de l’élection présidentielle. 23% d’abstention contre 54% chez les ouvriers, et respectivement 35% et 37% pour les employés et les inactifs ou (non retraités).
La seule symbolique ne suffit pas, ou en tout cas elle suffit trop peu et de moins en moins
Si l’on retire tout l’aspect symbolique et citoyen du vote il est intéressant d’observer que le vote se construit dans un échange quasi-commercial. Le citoyen est prêt à concéder du temps (réflexion, informations sur les candidats, déplacement au bureau de vote) contre un retour sur investissement qui se matérialise par une amélioration de ses conditions de vie. En enlevant les termes techniques, ça donne : Je vote pour quelqu’un pour qu’il améliore ma vie comme il le promet. Or, lorsque le retour est soit insuffisant soit non lié au candidat, alors il n’y a plus d’intérêt à voter. Pourquoi voter si je n’obtiens rien en retour ? La seule symbolique ne suffit pas, ou en tout cas elle suffit trop peu et de moins en moins.
L’abstention est avant tout une réponse à l’inefficacité des Hommes politiques ou à l’impression de leur inutilité, ce qui est peut-être lié finalement. Ainsi, pour lutter contre l’abstention il faut avant tout que les résultats de l’action publique aillent vers le citoyen directement de manière à ce qu’il perçoive le rôle de son élu. Motivé par des changements efficaces, les citoyens auront probablement plus d’intérêt à aller voter. C’est pourquoi la lutte contre l’abstentionnisme non-militant (largement majoritaire) doit démarrer à l’échelle locale. Il faut que les collectivités locales obtiennent plus d’autonomie budgétaire et surtout obtiennent la capacité de répondre à l’échelle de l’individu. Le temps de la politique faite pour la masse doit trouver sa fin et le vote doit se personnaliser. Reste qu’une telle décentralisation mettrait en concurrence les territoires et les inégalités géographiques se renforceraient. Une réponse qui peut être apportée est de traiter de façon équitable les moyens financiers donnés aux collectivités locales. Les départements souffrant le plus de la pauvreté ou du manque de démographie obtiendraient des subventions supérieures à celles d’autres départements aussi peuplés mais qui profite déjà de richesses suffisantes (les littoraux, les grandes villes et Paris).
Ce sont les collectivités locales qui portent sur leurs épaules la lutte contre l’abstention notamment en répondant directement aux attentes des jeunes et des plus pauvres. Le vote n’est pas un dû à la République comme il a pu l’être auparavant. C’est la République qui doit lutter pour que les citoyens y adhèrent. Le vote est aujourd’hui un élément de consommation comme un autre, qu’on le veuille ou non, il n’a pas une valeur suffisante aux yeux des citoyens pour qu’ils votent par « tradition » ou par « devoir civique ».
Afin de lutter contre l’abstentionnisme de masse il faudrait peut-être modifier les modes de scrutins
Mais il faut remettre en compte le rapport du politique avec l’individu, les modalités d’élections sont aussi une piste à étudier pour remédier à l’accentuation de l’abstentionnisme. Afin de lutter contre l’abstentionnisme de masse il faudrait peut-être modifier les modes de scrutins. En effet, la Vème République organise des élections massivement favorables au vainqueur, bien que celui-ci ait dans les faits obtenu l’aval d’une minorité des inscrits. L’élection présidentielle, les élections législatives, les élections départementales et la plupart des élections municipales sont à la faveur du seul parti vainqueur. Aux contraires les élections régionales, les élections municipales des villes de plus de 1000 habitants et les élections européennes sont à la proportionnelles. En dehors des seules critiques du « monarque présidentiel », l’introduction de plus de proportionnelle pourrait permettre de montrer la prise en compte de l’avis de chacun. Autrement dit, un mode de scrutin plus représentatif rendrait le vote plus rentable.
Une autre solution serait de rendre le non-vote moins rentable que le vote actuel. Autrement dit, un vote obligatoire qui ferait payer les non-votants. Dans ce cas-là ne pas voter représenterait une trop grosse perte comparée à l’effort d’aller voter. Soit on équilibre en rajoutant de l’intérêt au vote, soit on équilibre en augmentant la perte en cas de non-vote. Dans un esprit légèrement utopiste, il est probablement mieux de faire que le vote soit plus utile que d’obliger à voter. Même si le résultat sur l’abstention est théoriquement le même. Cependant, même en recommandant une décentralisation et plus de représentativité (avec de nouveaux types de scrutins mieux adaptés), il n’est pas certain de rendre le vote plus rentable. En effet, cela doit s’accompagner d’une médiatisation des acteurs locaux pour que les citoyens puissent comprendre l’intérêt de voter pour telle ou telle personnalité.
Il reste un frein majeur, celui du désintéressement à la question politique
Et même si l’on admettait que les candidats locaux étaient plus médiatisés cela ne signifierait pas qu’ils soient plus connus du public. Surtout du public qui ne vote pas. Il reste un frein majeur, celui du désintéressement à la question politique (à travers le prisme des médias classiques). Le rejet de la sphère politique par la majorité des jeunes et d’une partie importante des classes populaire explique en grande partie l’augmentation de l’abstention. Même si on conçoit un nouveau système où les collectivités locales pourraient rendre compte plus distinctement de leurs actions à leurs citoyens et que les candidats locaux étaient médiatisés, le fait que les jeunes rejettent les médias traditionnels voire les sujets purement politiques fait que l’abstention ne disparaîtrait pas.
L’abstention est donc un problème systémique qui touche à la fois à l’organisation politique de la France (Etat centralisateur, incarné par peu d’Hommes), et au rapport entretenu à la question publique. Les élections législatives qui viennent de se dérouler sont la preuve d’un désintéressement pour les institutions actuelles. D’autres facteurs expliquent la forte abstention notamment la faible intensité de la campagne pour les législatives et le fait que l’élection semblait être jouée d’avance. Reste que le constat est là, l’abstention augmente à chaque élection, donnant les sphères les plus actives et intégrées vainqueures (pas forcément au dépend des autres), donnant des dirigeants illégitimes. Le constat est là, les élections démontrent une perte majeure d’adhésion à la République. Pour pasticher Giscard disons qu’on n’a pas de pétrole, on n’a pas de votants non plus, espérons que nous avons toujours les idées.
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