#LoveArmyForSomalia
À l’instar de Coluche ou Daniel Balavoine en leur temps, le Français Jérôme Jarre attire l’attention sur la Somalie. La star des réseaux sociaux tente de venir en aide à la population du pays, touchée comme le reste de la corne de l’Afrique par une grave crise alimentaire. Par son mode opératoire, il révolutionne l’aide humanitaire, quitte à subir des critiques.
Au Somaliland, région du nord de la Somalie (1), les habitants n’ont pas vu la pluie depuis deux ans. La situation alimentaire y est critique pour les nomades, n’ayant d’autres sources de revenus que leurs animaux, morts, sinon malades. Sans pour autant connaître la famine – contrairement à certains de leurs voisins (2) –, les Somaliens connaissent une grave crise alimentaire, la plus grave depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale selon l’ONU. Face à ce constat, le Français Jérôme Jarre, 25 ans, a décidé de mettre le pied à l’étrier et d’alerter sa communauté.
🚨MAINSTREAM MEDIA WON'T TALK ABOUT IT !!!
REVOLTING !!!
LET'S MAKE NOISE !!!#TurkishAirlinesHelpSomalia 🚨 pic.twitter.com/iiyQrzyLC9
— JÉRÔME JARRE (@jeromejarre) March 15, 2017
Un usage fin des réseaux sociaux
Dans une courte vidéo mise en ligne le 15 mars sur son compte Twitter, il interpelle ses suiveurs afin de solliciter l’aide de Turkish Airlines. Cette compagnie, la seule à proposer des vols vers la Somalie répond favorablement le lendemain. Il faut dire que Jérôme Jarre et la compagnie entretiennent de solides liens. En 2015, il avait ainsi participé à une campagne de publicité pour l’entreprise en mettant en avant le logo et le slogan de cette dernière dans ses vidéos. Une proximité d’ailleurs critiquée par certains, jugeant que cette opération a l’effet d’un « coup de com' » pour l’entreprise, lui permettant ainsi un retour sur investissement. De fait, Turkish Airlines n’a depuis pas hésité à mettre en avant sa participation à l’opération sur ses différents médias. Pour autant, Jérôme Jarre tient à commenter dans un article de Slate qu’« aucune discussion avec Turkish Airlines n’a eu lieu concernant ce projet ».
We ❤Somalia. We got the call for this meaningful flight. @jeromejarre @redhourben @ELJuanpazurita #TurkishAirlinesHelpSomalia
— Turkish Airlines (@TurkishAirlines) March 16, 2017
Cette première étape franchie, Jérôme Jarre s’affaire à remplir cet avion et une fois encore, manie les réseaux sociaux avec brio. Via le mot-dièse #NominatedForSomalia, il implique de nombreuses célébrités (Nicolas Batum, Cyril Hanouna, Omar Sy) et personnalités du web (Natoo, EnjoyPhoenix, Norman) afin de récolter les deux millions de dollars requis pour acheter de la nourriture. Aussi, une cagnotte est mise en ligne (3) grâce au soutien de la fondation Ben Stiller, qui réalise un documentaire en parallèle. L’objectif est vite atteint et l’avion décolle le 27 mars, deux semaines à peine après le début de l’opération.
29. En arrivant en Somalie on a découvert qu’envoyer de la nourriture de l’étranger n’est pas la bonne manière d’aider un pays
— JÉRÔME JARRE (@jeromejarre) May 6, 2017
Une opération qui s’appuie sur les Somaliens eux-mêmes
À son arrivée en Somalie, Jérôme Jarre se rend vite compte des dangers que comporte l’importation de nourriture. Dans les années 1990, l’afflux de dons avait parfois détruit l’économie locale en ayant découragé les producteurs, un sentiment retranscrit par l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly dans sa chanson « Tonton d’America ».
Les hommes ont dit : puisque c’est dans les colis / Qu’on trouve à manger, nous on reste au lit.
Tiken Jah Fakoly, Tonton d’america (album Coup de gueule), 2004.
Aidé par l’association américaine ARC gérée « à 100% par des Somaliens » dixit Jarre, le Français se donne l’objectif de distribuer nourriture et eau sur le lieu de vie des populations afin d’éviter qu’elles ne se déplacent et ne rejoignent les 600 000 Somaliens vivant dans des camps. Surtout, Jérôme Jarre crée un nouveau modèle humanitaire. Il est bénévole, tout comme les personnes qui l’accompagnent dans ce projet. Aucune somme n’est déboursée en communication, les réseaux sociaux faisant leur effet. Ainsi, la totalité de l’argent levée est consacrée au projet en lui-même, ce dont le jeune Français n’hésite pas à se féliciter.
60. En quelque sorte nous avons réussi à créé un modele humanitaire complètement décentralisé où l’argent levé est 100% redistribué. Direct.
— JÉRÔME JARRE (@jeromejarre) May 6, 2017
Ce modèle suscite la critique de certaines associations plus « classiques », dont Action contre la faim.
Il faut savoir pourquoi les gens vont réagir comme ça. Ce sont des ressorts superficiels qui vont faire qu’ils donnent de l’argent à Jerôme Jarre. On est dans le marketing de l’innocence, quand l’émotion et une extrême incrédulité sont à la base de la générosité. Alors que, pour réussir sur le long terme, il faut faire réfléchir les gens. Dans le cas de Jerôme Jarre, ont-ils conscience de comment sera utilisé leur argent, de la situation sur le terrain, du marketing à l’œuvre dans cette collecte ?
Jean-François Riffaud, porte-parole d’Action contre la faim
Jérôme Jarre se défend mettant en cause l’ONG elle-même et notamment le salaire de sa CEO.
50. En quelques clicks sur Google je découvre que le salaire de la CEO d’Action Contre la Faim aux USA est de plus de $200.000 par an!! Yep. pic.twitter.com/30ZXjE3MPc
— JÉRÔME JARRE (@jeromejarre) May 6, 2017
Alors, le néo-humanitaire est attaqué sur d’autres points, notamment sur sa supposée posture de « White Savior » (4) ; celle-ci trouve sa crédibilité dans ses nombreux selfies avec les populations aidées mais aussi dans le nom d’un sujet de Complément d’Enquête diffusé le 4 mai sur France 2 (Jérôme Jarre, le chevalier blanc).
Une action limitée
À ces critiques s’ajoute la faiblesse de l’action #LoveArmyForSomalia, qui paraît être une goutte d’eau dans l’océan. Si Jérôme Jarre prétend aider via son action 60 000 Somaliens dans leur besoins en eau et en nourriture, 6,2 millions sont encore affectés par la sécheresse et ont besoin d’une aide d’urgence, dont trois millions souffrent d’une insuffisance alimentaire selon l’OMS. Le nombre grimpe même à 20 millions pour l’ensemble de la région. Le néo-humanitaire le reconnaît : « l’impact qu’on a sur place est minime par rapport aux besoins » s’exprime-t-il dans une vidéo tournée par Le Grand JD. L’ONU chiffre à 864 milliards de dollars le coût d’une lutte efficace contre cette situation. À ce jour, elle n’a récolté que 31% de la somme requise.
Cette crise ne pourra être résolue sans une réponse globale. La COP 21 récemment signée prévoit ainsi de fournir les moyens aux pays qui ne les ont pas de lutter contre le changement climatique et ses conséquences. Par ailleurs, l’Union Africaine continue ses actions armées dans le centre et le sud de la Somalie. Ces régions sont aussi touchées par le phénomène, mais l’organisation djihadiste Al-Shabaab bloque les convois humanitaires dans le sud. Quoiqu’il en soit, Jérôme Jarre aura au moins eu le mérite de braquer les projecteurs sur la région et de réveiller (une petite partie de) l’opinion mondiale sur le sujet. D’ailleurs, il compte faire prochainement à nouveau parler de lui par une autre action : il réfléchit à demander à un fabricant de smartphone d’en offrir un par village afin de lier chaque donateur à un Somalien aidé.
(1) Territoire revendiquant son indépendance depuis 1991, bénéficiant d’une certaine autonomie mais pour autant non reconnu par la communauté internationale.
(2) D’autres pays de la corne de l’Afrique (Soudan du Sud, Éthiopie, Djibouti) subissent une famine selon l’OMS.
(3) Pour y participer, cliquer sur le lien
(4) Idée selon laquelle l’occidental adopterait une position néo-colonialiste en faisant de l’humanitaire dans le tiers-monde.
image de couverture : Jérôme Jarre – © Elena Manocci/FLIckr