Un regard sur le monde
Le Qatar, la Corée du Nord, le charbon en Asie du Sud-Est et le Sud Soudan n’ont certainement qu’un point commun… Ils sont au menu de ce troisième opus de la revue de presse internationale. Alors cher lecteur, j’espère que tu as grand faim, car celui-ci ne va pas être facile à digérer.
“I buried my smallest one under a bush”, starvation sorrow south-sudan, The Guardian, Royaume-Uni

Sans vouloir faire d’humour noir, autant commencer par l’actualité la plus dure de la revue de presse de cette semaine.
Jason Burke, envoyé spécial à Pibor, a rencontré des habitants pour témoigner de la spirale infinie de violences qui tournoie au Soudan du Sud. Depuis que ce petit pays s’est détaché du voisin soudanais en 2011, après une guerre d’indépendance meurtrière, les turpitudes de la guerre n’ont quasiment jamais cessées. En 2013 éclate au grand jour le conflit latent entre le Président Salva Kiir et son vice-Président Riek Machar, qui a fui la capitale Juba, avec une partie de l’armée. Depuis, de nombreux groupes organisent la rébellion contre le pouvoir central, sur fond de conflit ethnique entre Dinkas, l’ethnie majoritaire du PR Salva Kiir et Nuers, celle de Riek Machar, et de conflit pour le partage des ressources.
L’article témoigne de la famine, qui accompagne la guerre et est souvent provoquée par elle. Des famines sont organisées par les belligérants. On estime qu’elle toucherait aujourd’hui 7,5 millions de personnes et que les deux tiers de la population bénéficient de l’aide humanitaire. Et justement, l’ONU n’a obtenu que la moitié des 1,64 milliards de dollars nécessaires.
Jason Burke donne la parole à des habitants qui ne se sentent guère protégés par les forces de l’ONU sur place. Un homme déclare :
Je suis sûr que quand les miliciens viendront, ils se terreront dans leur caserne.
Maintenant, la canicule pourrait certainement arrêter de faire les gros titres.
“Escape route from North Korea grows ever more perilous”, The Financial Times, Royaume-Uni
Non je n’ai pas plus décidé de faire une thématique réfugiés, qu’une revue de presse entièrement composée de journaux britanniques. Bryan Harris et Michael Peel signent un brillant article sur la route qu’empruntent les nord-coréens qui veulent fuir au Sud. “Asia Underground Railroad”, en rapport avec celle qu’utilisait les esclaves noirs pour fuir le Sud des Etats-Unis au XIXème siècle.
Les deux journalistes décrivent les cinq étapes de la route. D’abord la fuite vers le nord-ouest de la Chine en traversant la rivière Tumen, où la frontière est poreuse. Puis le périple à travers tout le pays, jusqu’à la province du Yunnan au Sud. Les montagnes frontalières du Laos ou de la Birmanie. Un passage en Thaïlande, pour s’envoler vers Corée du Sud.
Si la route est empruntée depuis plusieurs décennies, l’article pointe la difficulté croissante qu’ont les réfugiés à l’emprunter, du fait de l’action conjuguée de Pyongyang et Beijing. Depuis que Xi Jinping est au pouvoir, la Chine a renforcé la sécurité le long de la frontière, et a expulsé récemment 12 humanitaires. Depuis la séparation des deux Corée, après la Seconde Guerre mondiale, 30 000 Coréens du Nord ont trouvé refuge au Sud. Actuellement, environ 1 500 personnes fuient chaque année la dictature « communiste » mais seulement une personne sur dix atteint la Underground Railroad. 200 000 Nord-coréens vivraient actuellement en Chine. Et la traversée est un business juteux pour les douaniers. Le prix de la cécité d’un garde-frontière nord-coréen peut s’élever à 8 000 dollars.
Comme le dénonce les deux journalistes, les projecteurs sont braqués actuellement sur la menace nucléaire et non plus sur les violations régulières des droits humains dont fait preuve Pyongyang, qui réserve un traitement spécial aux les fuyards rapatriés par la Chine.
« Le roi Salmane écarte son neveu en désignant son fils comme héritier du trône », l’Orient-le Jour, Liban
Sans transition, la nouvelle détonante de la semaine est venue d’Arabie Saoudite. Mohammed ben Salmane a été désigné comme héritier du roi actuel, Salmane, et Mohammed Ben Nayef, l’héritier logique évincé.
Comme l’explique Caroline Hayek, MBS, 31 ans, avait mis les bouchées doubles pour se rendre indispensable auprès de son père, mettant au ban MBN. Des rumeurs sur la santé chancelante de son rival jouaient en sa faveur. Le jeune prince avait d’ailleurs été nommé ministre de la Défense, un poste stratégique, en 2015. Comme le fait remarquer David Rigoulet Roze, chercheur cité dans l’article, cette nomination est inédite puisqu’elle bouscule le traditionnel ordre de succession du Royaume, fondé en 1931. En effet, il s’agit normalement d’une « succession horizontale adelphique, de frère à frère par ordre de primogéniture ».
MBS a réussi à séduire les Américains, ce qui a, pour la journaliste, joué en sa faveur. C’est lui qui avait organisé la visite de Donald Trump, avec Jared Kushner comme intermédiaire. Il a fait valoir sa jeunesse comme atout majeur, en présentant son projet « Arabie Saoudite : vision 2030 », vaste programme de libéralisation. Toutefois, même s’il est ostensiblement réformateur, le jeune prince pêche par son inexpérience, qui a valu l’enlisement yéménite. De même, comme le fait remarquer le chercheur, beaucoup à l’intérieur même de la famille royale ont grincé des dents au fait que le futur roi pourrait régner 50 ans… Si, comme le dit la journaliste, il semble radicalement de ses aïeux au niveau de la gestion intérieures, il est profondément anti-iranien. Une vision bien régressive de l’équilibre de la région, qui a prouvé ses limites.
“Asia and the Fall of Coal”, The Diplomat, Japon
Si l’on parle frénétiquement de l’équilibre de la région moyen-orientale, il est temps de s’intéresser à l’Asie. Dans cette région tirée par deux pays émergents, les lignes bougent, et cela pourrait bien avoir un impact à l’échelle mondiale. A l’heure où les Etats-Unis tournent bel et bien la page de la lutte contre le réchauffement climatique, l’Inde et la Chine font le pari des énergies renouvelables.

Pourquoi un tel revirement ? C’est ce que se propose de décrypter Nithin Coca, pour The Diplomat, au passage excellent site web pour comprendre l’Asie.
Pour le journaliste, une série de facteurs expliquent ce soudain revirement :
- La réalité toujours plus forte du changement climatique, qui pourrait porter atteinte à n’importe quel bénéfice économique issu des énergies fossiles.
- Le nouveau leadership de nations comme les Philippines, dévastée par le typhon Haiyan en 2013, directement relié au changement climatique.
- Et enfin, le simple fait que les énergies renouvelables apparaissent comme une véritable alternative, et sont une réelle opportunité de développement de la région.
Comme le rappelle l’article, le charbon a contribué pour une grande partie au développement très rapide de la Chine, alors que l’Indonésie et l’Australie, principaux exportateurs de charbon, voyaient leurs ventes augmenter. Mais en 2015, les importations de la Chine baissent brutalement de 30%. Le boom du charbon cède la place au boom du solaire, alors que celui-ci coûte environ le même prix. « En Inde, vous voyez à peu près toutes les semaines aux infos que des projets de centrales à charbon sont finalement annulés » explique Lauri Myllyvirta, une experte de l’air et de la pollution basée en Chine pour Greenpeace. Cela a eu un impact très fort sur les pays exportateurs : les ventes ont chuté de 43,5% entre 2012 et 2016.
Toutefois, comme le souligne l’article, cette tendance n’est pas uniforme dans toute la région. Ainsi, de nouveaux pays exploitent maintenant le charbon : le Japon, et deux pays d’Asie du Sud-Est, le Vietnam et l’Indonésie. Le premier a construit 49 centrales, tandis que des émissaires des deux autres viennent à Tokyo pour trouver des investisseurs. Cependant, selon un spécialiste cité dans l’article, l’Indonésie va rapidement tourner le dos au charbon, étant donné la chute des coûts des énergies renouvelables. La seule raison pour laquelle le charbon est toujours privilégié est à chercher du côté des lobbyistes, notamment japonais, très actifs auprès des gouvernements.
Ce basculement du charbon vers les énergies propres a eu pour conséquence un changement de rhétorique du côté des pays émergents, qui ont abandonné l’argument « les nations développées ont utilisé massivement les énergies fossiles pour s’industrialiser » et sont revenues avec de vrais arguments. Comme l’indique le journaliste, la Chine s’est engagée à réduire ces émissions d’ici à 2030 et l’Inde à diminuer sa consommation de charbon d’environ 33 à 35%. Et la bonne nouvelle est que Beijing semble en mesure de dépasser ses promesses, alors que la Corée du Sud vient de désigner un président hostile au charbon.
Pour terminer, Nithin Coca conclue par ces mots :
Si l’Asie tourne le dos au charbon, cela voudrait dire que le centre de l’économie globale ne dépend plus des énergies fossiles. Les ramifications géopolitiques seront énormes. Il est temps de s’y préparer.
Vers une nouvelle géopolitique des énergies renouvelables ?
image de couverture : © Alexis DUCLOS/Gamma-Rapho via Getty Images