Un avenir écologique sans l’Europe : est-ce vraiment possible ?
Notre génération a la chance d’avoir majoritairement conscience que le mode de développement économique actuel n’est plus tenable d’un point de vue écologique. Mais notre malheur, c’est que nos dirigeants, eux, qu’ils aient 20 ans ou presque 50 ans de plus que nous, ne semblent pas s’en rendre compte. Enfin, pas dans la mesure nécessaire si nous ne souhaitons pas être la dernière génération d’humains mourrant de vieillesse sur cette Terre.

En 2015, l’éminente revue Nature publiait une étude menée par vingt-deux chercheurs expliquant que d’ici 2100, les écosystèmes de la planète pourraient connaître un effondrement total et irréversible. De quoi faire des cauchemars, surtout en période électorale. Puis, il y a eu Jean-Luc Mélenchon. Un programme écologique très poussé, une refonte complète de notre système économique et politique, ce qui pourrait être le début d’une dynamique mondiale ! Une remontée rapide dans les sondages, laissant espérer une victoire, ou au moins une qualification au second tour. Assez pour redonner espoir à une jeunesse que l’on qualifie régulièrement d’“amorphe” du moins politiquement, même si elle reste à l’avant-garde dans les projets de construction d’une nouvelle société.
Mais un autre aspect retient mon attention dans ce programme révolutionnaire : l’euroscepticisme affiché du nouvel héros des écologistes, devenus « Insoumis ». Sortir de l’Union européenne ou au moins abandonner toute idée fédéraliste, est-ce vraiment la bonne solution ? Ce qui est rejeté dans l’Europe, c’est bien entendu sa défense du libre-échange, sur lequel elle s’est construite. Rejeter l’économie de marché, ce serait nier également les perspectives de développement économique comme humain permis par ce modèle. Notre système économique est-t-il si moribond que cela ? N’y a-t-il rien de bien dans cette libéralisation des échanges ?
Ma position pourrait sembler antithétique au premier abord : écologiste, je suis convaincue de l’efficacité économique du libéralisme et du libre-échange et ardente défenseuse d’une Europe fédéraliste. Une bobo qui vote pour Macron et qui se dit écologiste pour paraître plus cool, finalement. Pas tout à fait.
Le commerce international, à éliminer ?
Dans son programme, Jean-Luc Mélenchon défend un « protectionnisme solidaire ». Si le leader de la France Insoumise souhaite avant tout mettre fin au dumping (1) sur les industries stratégiques, relancer l’industrie en France et permettre un développement plus écologique des “pays ateliers” actuels, il se pose cependant en ennemi du libre-échange. Logique, quand on sait que 15 % des émissions de gaz à effet de serre proviennent des transports. Compliqué à imaginer, quand on sait que c’est ce commerce international qui a permis le développement de pays comme la Chine, sortant des dizaines de milliers de personnes de la pauvreté : 43 % des chinois étaient en situation d’extrême pauvreté en 1981 contre 13 % aujourd’hui, selon la Banque mondiale.
Un développement qui a eu un prix écologique énorme, certes. Pourtant, une fois de plus, on devrait dire « on vous laisse dans la misère, parce que, nous, occidentaux, on ne veut pas voir les épidémies augmenter, les récoltes diminuer, la mer monter à cause du réchauffement climatique » ? Le protectionnisme, c’est empêcher les émergents asiatiques et d’Amérique du Sud de continuer leur développement, c’est laisser l’Afrique dans la misère. Même si d’autres systèmes de développement existent, même si ces pays peuvent sortir de la pauvreté d’une manière plus durable, il faudrait encore qu’ils puissent vendre leur production. Pour cela, il faut un marché intérieur efficace, et donc beaucoup de personnes au travail, avec des revenus en augmentation. Rien que les marchés intérieurs africains ne soient capables de fournir actuellement. Alors nous, Européens, plutôt que d’injecter de l’argent frais qui finit souvent dans les poches de familles richissimes au pouvoir depuis plusieurs générations, le service que nous pouvons rendre à ces populations serait de consommer ce qu’elles produisent, pour indirectement les sortir de la misère. Cette vision, même si Jean-Luc Mélenchon en reprend certains aspects dans son « protectionnisme solidaire », montre quand même que le libéralisme permet un développement économique rapide et à terme une progression du niveau de vie des populations. En effet, les agents économiques iront produire dans les pays où le coût de production est le plus faible, permettant aux habitants d’avoir un salaire fixe et un emploi stable, non lié aux aléas climatiques par exemple. Ces salaires, même s’ils restent très faibles, assurent une vie plus stables et connaissent à long terme des augmentations. Entre 2005 et 2016, le salaire horaire moyen d’un ouvrier manufacturier chinois est passé de 1,2$ à 3,6$, selon le Financial Times, représentant une hausse de 300%. Point noir de ce tableau, en profitant à la fois aux élites et aux populations les plus pauvres, l’installation d’entreprises dans des pays en développement permet de faire baisser la pauvreté mais augmente du même coup les inégalités. Cependant, ce n’est qu’en améliorant les conditions de vie de la population que celle-ci pourra être plus éduquée et s’engager politiquement pour renverser les dirigeants corrompus.
Un commerce intra-zone à privilégier à terme au commerce international
Si, à terme, l’ensemble des régions du monde atteint un niveau de développement satisfaisant, le commerce international tel qu’on le connaît aujourd’hui sera amené à disparaître, l’utopie d’un pays subvenant à ses propres besoins me paraissant difficilement atteignable. Il faudrait dès lors favoriser un commerce intra-zone au sein de chaque continent ou grande région du monde. En effet, l’optimisme a ses limites. Oui, les initiatives de ces Français qui vivent dans des communautés quasi autarciques sont extraordinaires, oui, je les crois aussi quand ils disent qu’ils sont plus heureux. Cela pourrait marcher, mais sans doute pas à l’échelle de la France. Même si Jean-Luc Mélenchon, comme Benoît Hamon, en est conscient, le nouveau mode de développement qu’il présente ne pourra pas être appliqué d’un coup : on ne changera pas en cinq ans un système économique, le capitalisme, né avec la Révolution industrielle. Ce qui me déçoit, c’est que le programme de Jean-Luc Mélenchon – comme celui de Marine Le Pen – ignore que nous sommes intégrés dans un système économique européen et mondial, et qu’en sortir serait plonger encore un peu plus les classes moyennes et populaires dans la spirale du chômage et à terme celle de la pauvreté. Avec l’Europe, ce marché commun immense, la France reste un territoire attractif pour les investisseurs étrangers et permet à nos entreprises françaises d’exporter plus facilement des produits plutôt chers face aux prix chinois. En sortant de l’UE, encore plus d’entreprises délocaliseront, fermeront et donc licencieront. Mais, mis à part ces problématiques purement économiques, l’Europe peut être une chance, autant au niveau écologique que diplomatique.
Une Europe fédérale au service de la transition écologique et d’une plus grande justice sociale ?
On râle contre Monsanto, son Roundup bourré de perturbateurs endocriniens ? Contre ces jouets chinois en plastique aux composants potentiellement cancérogènes ? Avec une Europe politique et forte, on pourrait avoir une chance d’imposer notre voix face aux lobbys des multinationales. Aujourd’hui, personne ne niera qu’à Bruxelles, ce sont pour l’instant ces même lobbys qui font la loi. Peut-être aussi parce que notre Europe reste une machine administrative et d’organisation économique, pas un organe politique. La solution pour mettre fin à la dictature de ces lobbys, ce n’est pas de stopper la construction européenne mais plutôt de la renforcer. Aujourd’hui, l’Union européenne, à moitié démocratique, à moitié technocratique, ne plaît à personne. Le programme de Jean-Luc Mélenchon est clair sur ce point : un plan A de renégociation des traités qui aboutira au mieux à un statu quo, au pire à une diminution de la fédéralisation, et un plan B proposant la sortie de l’Union européenne. Pourtant, fédéraliser, ce serait d’abord transférer une partie des compétences des Etats – membres vers un réel gouvernement européen, ce qui entraînerait également une plus grande démocratisation de l’Europe. Les institutions européennes n’auraient plus seulement des compétences techniques et administratives mais aussi politiques, par exemple sur le taux d’imposition, la politique industrielle, l’éducation, l’écologie, la diplomatie. L’Europe pourrait parler d’une seule voix au niveau diplomatique et s’imposer sur la scène internationale, ne pas se laisser envahir par des lobbyistes qui ont vite fait de mettre de leur côté des technocrates qui n’ont aucune pression électorale. Une Europe fédérale, c’est aussi plus de transparence, car les citoyens souhaiteront connaître les actions de leur gouvernement. Aujourd’hui, personne ne sait rien des politiques menées par l’Union européenne. Les lois votées ? Elles sont à peine annoncées dans les journaux. Les élections européennes sont celles où l’abstention est la plus élevée. Pas étonnant qu’il n’y ait pas de communication, personne ne s’y intéresse.
Une Europe fédérale, c’est aussi la chance de disposer d’un grand marché commun. L’Europe fédérale écologique telle qu’on pourrait l’imaginer permettrait de profiter des avantages d’échanger nos productions respectives tout en restant dans un espace assez petit pour ne pas polluer lors des importations et des exportations. D’abord, en se spécialisant dans un type de production, chaque pays réalise des économies d’échelle (2). D’un point de vue écologique, l’intérêt est énorme : plutôt que d’avoir une usine en France et une usine en Allemagne, il n’y en a qu’une qui sert aux deux pays, ce qui éviterait une consommation supplémentaire en machines, en locaux, qui risqueraient de ne pas être utilisés à leur maximum. L’intérêt économique l’est encore plus. Aujourd’hui, il est difficile de convaincre des personnes d’acheter français à cause du prix. En réalisant des économies d’échelle, il est également possible de diminuer les coûts de production et de faire plus facilement accepter aux personnes ayant le moins de pouvoir d’achat la transition écologique.
Il est évident qu’une telle réforme demandera un changement profond du mode de fonctionnement actuel. Mais cela peut être fait par la démocratie ! Si, aujourd’hui, les gouvernements français et allemand relancent la construction européenne, ils devront donner un gage démocratique pour la faire accepter. Mais ce gage réside aussi dans la capacité de nos partis nationaux à devenir également plus européens. Quoi de mieux pour faire renaître un sentiment d’appartenance européenne que d’avoir des partis à la fois français et allemand ou français et italien par exemple, où les Français éliraient des députés français mais aussi allemands ou italiens ? Le problème de l’Union européenne aujourd’hui, c’est qu’elle n’arrive pas à montrer qu’elle peut protéger et qu’elle pourrait être gage d’unité. Fédéraliser, c’est aujourd’hui pour moi une étape essentielle dans la transition écologique de notre continent, à la base de ce qui pourrait être demain une dynamique mondiale. L’Europe, le vieux continent ? Je ne pense pas
- DUMPING : VENTE DE BIENS OU DE SERVICE DANS UN AUTRE PAYS À UN PRIX INFÉRIEUR QUE CELUI PRATIQUÉ DANS LE PAYS D’ORIGINE DE L’ENTREPRISE, L’OBJECTIF ÉTANT DE CONQUÉRIR DES PARTS DE MARCHÉ.
- ECONOMIE D’ÉCHELLE : CORRESPOND À LA BAISSE DU COÛT DE PRODUCTION D’UN BIEN OU D’UN SERVICE PERMISE PAR L’AUGMENTATION DE LA QUANTITÉ PRODUITE.
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