L’abstention, une solution ?
12 millions d’abstentionnistes, 4 millions de bulletins blancs, soit prêt de 34 % du total des inscrits. Un second tour hors norme ? Derrière cette abstention historique, c’est une tentative de rassemblement difficile et une violence inouïe qui ont caractérisé la campagne présidentielle et surtout l’entre-deux-tours : les premiers jours d’Emmanuel Macron en tant que Président élu ont montré qu’il aurait encore à y faire face. L’abstention est-elle l’unique solution pour les déçus, qu’ils aient voté François Fillon ou Jean-Luc Mélenchon au premier tour ? Face au duel Marine Le Pen – Emmanuel Macron des milliers de Français ont revendiqué l’abstention comme un choix le 7 mai.
#SansMoiLe7Mai
Un choix qui laisse supposer les fractures à venir ?
Le hashtag #SansMoiLe7Mai, lancé le 23 avril dès 20h, la position indécise de Mélenchon, les personnalités des Républicains comme Henri Guaino revendiquant le ni-ni… : le front républicain face au FN ne semble plus être de mise ! À droite comme à gauche, le choc des résultats n’en est plus un, à l’inverse de la situation en 2002, où l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles avait été un réel séisme entraînant une forte mobilisation des Français contre le Front National. Une personnalité avait appelé à ne pas voter : Arlette Laguiller. L’ancienne porte-parole de Lutte Ouvrière s’était heurtée à l’incompréhension et à des critiques virulentes, notamment de la part de Jean-Luc Mélenchon. De quoi s’interroger sur les causes de ces revirements à droite comme à gauche et des fractures qui se sont visiblement multipliées en 15 ans.
« La bulle »
Si l’abstention devient un choix « acceptable » en 2017, c’est d’abord parce que les protagonistes ne sont plus les mêmes. Marine Le Pen a su transformer l’œuvre de son père en un parti de gouvernement, en lâchant les formules chocs pour un discours plus mesuré, mais aussi plus démagogique. Une méthode efficace pour rallier les victimes des délocalisations, les classes moyennes matraquées par les impôts et même un électorat catholique souverainiste et très conservateur. Ce sont ces mêmes électeurs qui voient le phénomène Macron comme une bulle médiatique soutenu par le gouvernement, les élites européennes et mondiales. À droite, Emmanuel Macron apparaît comme la raison de la chute de François Fillon, lors de ces élections présidentielles encore imperdables il y a six mois : « candidat des médias », fils de François Hollande, banquier à la botte des lobbys, menteur invétéré… Toutes ces raisons ont provoqué à droite une vague de protestation contre le ralliement en chaîne des ténors LR le 23 avril. Guillaume Larrivé, sarkozyste et ancien conseiller de Brice Hortefeux explique ainsi qu’il votera blanc, car Emmanuel Macron
n’est pas prêt à lutter contre les périls communautaristes qui menacent notre nation.
Macron ?
Si cette décision a été critiquée, il n’est pas le seul à avoir exprimé publiquement ses réserves face à Emmanuel Macron, qui a mis le progressisme au cœur de son programme . Ainsi, dans un communiqué publié le 25 avril, la Manif pour Tous – dont Sens commun, soutien de François Fillon, est une émanation – refuse de donner une consigne de vote :
Pour les familles, pour les enfants, pour l’avenir, le 7 mai, Macron, c’est non !
La déclaration de Ludivine de La Rochère, présidente de la Manif pour Tous, témoigne d’une autre fracture au sein de la société française, fracture déjà révélée en 2013 lors des manifestations contre le Mariage pour tous. Une partie de la droite majoritairement catholique défend une vision conservatrice de la société, voyant la lutte contre le Mariage pour tous et l’accès à la PMA pour les couples de femmes – un droit défendu par Emmanuel Macron – comme la responsabilité historique de préserver notre état civil, notre société et notre humanité. Si cette fracture entre progressistes et conservateurs explique l’abstention d’une partie de la droite, rejetant la politique familiale d’Emmanuel Macron comme la politique économique de Marine Le Pen, l’extrême gauche a également refusé le Front républicain.
On a bien été inspirés de ne pas faire taire la diversité par une consigne de vote de Mélenchon. Ça, les gens ne peuvent plus l’entendre
explique Charlotte Girard, coresponsable du programme de la France insoumise. Pour Axel, 24 ans, militant de la France Insoumise : « il est difficile de prendre part à un second tour qui a toutes les caractéristiques d’un non choix. »
Macron : NON
Refuser de voter pour Emmanuel Macron au second tour, c’est refuser le programme économique libéral qu’il défend mais c’est aussi et surtout rester « insoumis » face au consensus qui s’est créé pour barrer le chemin à Marine Le Pen. Les résultats de la consultation lancée le 25 avril par Jean-Luc Mélenchon ont révélé que cette ligne était suivie par la majorité des militants : 29,05 % des militants Insoumis en faveur de l’abstention et 36,12 % en faveur du vote blanc ou nul. Une solution qui pose problème, surtout pour le Parti communiste français, qui s’était rallié à Jean-Luc Mélenchon. Ainsi, pour Roger Martelli, ex-dirigeant du PCF,
mettre un trait d’égalité entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, c’est admettre que les deux protagonistes sont équivalents dans une compétition démocratique.
L’abstention, efficace pour montrer son désaccord ?
Une banalisation du FN ou une diabolisation d’Emmanuel Macron ? La forte abstention révèle davantage la déception d’électeurs qui ne se reconnaissent pas dans les candidats qualifiés au second tour. L’argument avancé par ces abstentionnistes, c’est la visibilité de leur vote. Contrairement au vote blanc, les chiffres de l’abstention sont largement mis en avant. Cependant, pour ces électeurs, souvent très engagés derrière un candidat au premier tour, l’abstention n’est qu’une solution de repli. Le but est de montrer un désaccord face à des élections qui n’ont pour de nombreux militants pas été jouées à armes égales, que ce soit à cause de l’affaire Fillon ou du supposé soutien des médias pour Emmanuel Macron.
Macron : OUI
Une efficacité qui reste pourtant très relative. Axel, militant de la France insoumise, qui a finalement fait le choix de voter Emmanuel Macron pour faire barrage au FN, mais aussi par devoir citoyen n’y croit pas :
étant donné l’énorme quantité de ressources et d’énergies mises en place pour soutenir la campagne du nouveau Président, principalement à travers un usage plus ou moins subtil des médias visant à construire un récit d’adhésion politique, je doute fort que l’abstention soit prise en compte dans quelque décision que ce soit. – Il ajoute cependant que la prise de conscience peut venir d’en bas : – c’est dans la conscience politique des électeurs que l’abstention peut conduire à faire apparaître l’étendue de la manipulation dont ils sont l’objet.
Le choix de s’abstenir reste également loin d’être consensuel. Vincent, technicien médical de 33 ans qui s’est abstenu aux deux tours, explique qu’il y avait « de l’hostilité envers des gens comme moi, décidés à ne pas choisir entre deux maux. » Une hostilité particulièrement visible sur les réseaux sociaux, où Vincent a remarqué l’extrême violence des gens et l’absence de débat constructif, ce qu’il déplore.
#MaVoix
L’abstention, critique des institutions
L’abstention montre également, pour les soutiens de Mélenchon particulièrement, une remise en cause des institutions. Dans son programme, le candidat de la France Insoumise avait ainsi mis en avant la nécessité d’une Sixième République, rompant avec le régime semi-présidentiel actuel, qui nécessite l’élection d’un seul homme et donc d’un seul courant politique à la tête de l’État. Un modèle qui a montré ses limites alors qu’au soir du premier tour, les résultats ont révélé une France répartie à parts presque égales entre quatre candidats. Devant le manque de représentativité qu’entraîne l’élection d’un Président de la République disposant de pouvoirs larges, certains Français ont choisi dès le premier tour de s’abstenir pour dénoncer un système oligarchique. Pour Vincent, 33 ans, l’abstention « c’est un choix mûrement réfléchi, motivé par une volonté de ne pas cautionner par ma voix un système qui nourrit l’illusion d’une démocratie, puis mécaniquement, impose des représentants, grâce au jeu du tri-partisme ». Un choix qui n’est pourtant pas figé : il votera en juin prochain aux élections législatives pour le mouvement #Mavoix, une autre manière de faire bouger les lignes.
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