Justice : Emmanuel Macron joue l’équilibriste
Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle, a présenté son programme pour la justice à l’Université droit et santé de Lille 2 ce mardi 14 mars.

Lorsqu’on attaque la justice dans des manifestations de rue on prend une grave responsabilité
C’est par ces mots qu’Emmanuel Macron a conclu l’exposé de son projet pour la justice devant il est vrai, bien peu d’étudiants pour une intervention dans une faculté. Ce projet se veut prendre le contre-pied des turpitudes judiciaires qui agitent la campagne présidentielle, entre la mise en examen de François Fillon pour détournements de fonds publics et mise en cause de Marine Le Pen dans une affaire d’emplois fictifs au Parlement européen. Le candidat d’En Marche! fonde son projet sur trois piliers : une justice respectée et indépendante, efficace et au service du citoyen et productrice de sécurité. Le premier point s’inscrit dans la continuité de la loi sur la moralisation de la vie politique proposée par le candidat qui prévoit notamment d’interdire de cumuler le même mandat pendant trois années consécutives. Réaffirmer l’indépendance et l’autorité de la justice, défiée par M. Fillon et Mme Le Pen paraît être une mesure nécessaire : l’égalité devant la justice est une valeur fondamentale de notre démocratie. De même, l’indépendance de la justice contestée par certains au nom d’un « gouvernement des juges » doit être appuyée, à l’heure où de plus en plus de citoyens sont tentés par les théories du complot. Ainsi, il propose la nomination au Conseil Supérieur de la Magistrature d’individus n’étant pas nécessairement magistrats mais « compétents » et « hors de tous soupçons ».
Toutefois, pour cette première mesure, quoi de révolutionnaire ? Il semble qu’au lieu d’applaudir à tout rompre des mesures qui semblent évidentes et normales dans un Etat de droit, il vaudrait mieux fermement vilipender ceux qui défient le fonctionnement de la justice, contestant l’égalité de tous devant la justice, à l’image de M. Sarkozy, outragé par sa mise sur écoute. De plus, défendre avec ardeur la sécurité des personnes alors que l’on a défendu une loi qui facilite les licenciements est osé, pour parler poliment.

« La justice doit embrasser cette révolution numérique »
Emmanuel Macron défend un projet considérable : une réforme quasi-complète du système judiciaire avec deux mots d’ordre, la numérisation et la rationalisation. Pour lui, « la justice doit embrasser cette révolution numérique » et souhaite ainsi créer de nouveaux services sur internet. Ils ont pour vocation d’informer le citoyen sur les procédures et de régler les contentieux civils inférieurs à 4 000 euros en ligne, mettant en relation les parties, les juges et les justiciables. Il a également défendu une numérisation progressive de la procédure pénale. Cela doit permettre d’alléger la charge de travail des greffiers et des magistrats, qui croulent sous les dossiers. Parallèlement, il veut augmenter les embauches dans le secteur et repenser l’organisation de la justice sur le territoire. Cela passera par la création d’un tribunal de grande instance qui fusionnera l’ensemble des juridictions spécialisées. Toutefois, cette réforme aussi considérable est-elle réalisable en cinq ans ? Par ailleurs, est-elle vraiment synonyme de simplification ? N’est-ce pas plutôt créer une sorte d’institution gargantuesque, qui reproduira en interne le millefeuille administratif présent entre les différents tribunaux actuels ?
Peu de précisions de toutes ces mesures et un seul chiffre : 10% des fonds du grand plan d’investissement de 50 milliards prévu pour le quinquennat seront destinés à la réforme de la justice. Cette numérisation, si elle paraît être nécessaire, pose néanmoins des difficultés : 17% des foyers n’ont pas accès à internet (selon le Baromètre du Numérique en 2015) dont de nombreux citoyens âgés et/ou habitant dans des zones rurales. De plus, la rationalisation par la création d’une grande institution unique pourrait nuire au maillage territorial et à la proximité de la justice.
Le candidat a également évoqué à de très nombreuses reprises une nécessité d’efficacité. Les décisions des juges doivent être immédiatement exécutoires en matière civile pour éviter que la voie de recours ne soit utilisée à des fins dilatoires. Le nombre de procédures civiles doit être réduit à deux : une avec avocat obligatoire et l’autre sans avocat obligatoire pour les contentieux du quotidien. Là encore, aucune précision sur ce que l’on classe comme « contentieux du quotidien », ce qui pose un vrai problème de justification de la non-présence d’un avocat. De plus, chaque acte délictueux mis en évidence doit faire l’objet d’une réponse rapide et l’examen doit être automatisé afin de conforter le principe de l’individualisation des peines. Cette proposition suppose un investissement considérable tant au niveau humain que financier. Ainsi, si M. Macron veut « rationaliser » et maximiser l’efficacité, c’est par la numérisation et non en supprimant des postes : il évite l’écueil de la réduction d’effectif souvent attribué à la droite tout en esquivant l’accusation d’idéalisme.
Tolérance zéro
En termes de politiques pénales, M. Macron joue les équilibristes entre la construction de 15 000 places de prison et volonté de mettre en place de peines alternatives. Il a fustigé l’opposition binaire entre la vision d’une gauche « laxiste » et d’une droite « sécuritaire » qui privilégie la culture de l’enfermement, considérant que le clivage gauche/droite n’a ici « pas beaucoup de sens ». De même, le candidat d’En Marche! s’est positionné en faveur d’une nouvelle police de proximité avec l’institutionnalisation d’une « police quotidienne de sécurité », thématique historique de gauche et revendique dans le même temps la « tolérance zéro » abordée par les candidats de droite et d’extrême droite. Ces prises de position ambiguës cultivent une sorte d’opacité et un manque de lisibilité de ce que compte réellement faire le candidat s’il est élu. M. Macron s’est d’ailleurs bien gardé d’apporter des précisions sur les missions de cette police de proximité. A vouloir n’être ni de droite, ni de gauche, il risque de n’être plus grand-chose. En revanche, il se démarque clairement de François Fillon par ses positions sur les mineurs : le mineur ne doit pas être puni comme un adulte, la dureté de la punition doit être laissée à l’appréciation du juge.
Pour finir, M. Macron a évoqué la nécessité d’une coopération européenne en ce qui concerne le problème du terrorisme. Pour lui, la France doit développer un programme commun avec l’Allemagne et d’autres pays comme la Belgique,
l’UE doit vraiment devenir un espace réel de liberté et de sécurité
Toutefois, il n’a pas évoqué une coopération globale avec tous les pays européens, alors que l’idée d’une Europe à deux vitesses revient sur le devant de la scène politique.
Le candidat « ni de droite ni de gauche » détaille donc un programme très ambitieux, dont les propositions ne seront certainement pas partagées par l’ensemble des juristes et de la classe politique. Vaste tâche pour un candidat qui n’est pas certain d’avoir une majorité stable à l’Assemblée nationale.
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